Chronique du septième jour du mois de novembre en l’an de très grande disgrâce vingt et un
Où il est question de persuasion, de tromperies et de visions pestilentielles
Le Roy était fort marri de ce que les vieux barbons et vieilles douairières de la Chambre Haute eussent l’outrecuidance de lui tenir tête. Voilà que ces vieillards, qui d’ordinaire tombaient sous le charme de Notre Ethéré Jouvenceau, avaient osé retoquer son édit sur le sauf-conduit hygiénique, lequel allait devenir canonique et s’imposer en tout lieu, même là où on avait juré qu’il ne le serait point. Il s’était ensuivi une passe d’armes entre la Chambre Basse, acquise à Sa Sublime Férule, et la Chambre Haute. Les Dévôts avaient fini par l’emporter mais l’édit devait encore être ratifié par le Conseil des Sages. Le Roy s’avisa que là aussi, les vieillards pouvaient avoir l’idée saugrenue de regimber. Il fallait les en dissuader. « Sire, murmurèrent les très serviles Conseillers, que Votre Majesté prenne la parole dans une Lucarne Magique, qu’Elle dispense Son Verbe éblouissant et les saints préceptes de l’Enmêmetantisme, cela en remontrera au peuple et ne manquera de séduire les Sages. »
Notre Prolixe Babillard se préparait doncques dans le secret de son cabinet à apparaître à ses vils sujets à l’heure du brouet vespéral, afin de leur imposer une nouvelle fois les mains et guérir les écrouelles. Le Grand Sachant du Roy, monsieur du Défraichis, allait partout agitant sa sébile : « la cinquième vague ! La cinquième vague ! ». Mais on ne l’écoutait guère, les Riens et les Riennes ayant acquis la certitude que nul dans l’entourage du souverain ne savait son arithmétique, hormis pour ce qui était de remplir les cassettes des très riches tout en vidant les poches des pauvres. Les miasmes visontins étaient une arme fort commode pour maintenir le peuple en sujétion et faire taire les médisances et Sa Machiavélique Perfidie entendait bien y avoir recours autant que de besoin. On oublierait ainsi que la gazette de ce vilain monsieur Plénus Mustachus avait révélé la duplicité de Notre Agreste Chevalier. Un grand raout avait été donné pour sauver notre mère la Terre. Le Roy y avait comme de coutume vibrionné et donné moult et moult leçons de jardinage. Las ! On apprit que, fidèle à son cher enmêmetantisme, Sa Fuligineuse Hypocrisie venait de traiter avec le tyran de la Hongrie, Viquetor du Mordor, afin que l’on relançât les mines de charbon et de gaz fossile, ainsi la production de l’énergie de l’atome. C’était sans nul doute les meilleurs traitements qu’il fallait appliquer à notre pauvre planète.
Par bonheur, Notre Piteux Jobard, alors qu’il s’en était allé en visite chez le Grand Ensoutané, avait reçu les excuses de Sir Joe du Bidon à propos de la malheureuse affaire des navires amphibies. Il avait certes fallu que Sa Calamiteuse Suffisance fît le pied de grue à l’ambassade, le temps que l’Empereur des Amériques daignât s’y rendre à son tour. « Nous avons été maladroit avec la Startupenéchionne » susurra mollement Sir Joe. Notre Poudreux Bibelot accepta avec grâces et effusion cet hommage. N’était-il point le plus brillant stratège qu’on eût jamais connu, devant lequel même Sir Joe se prosternait ?
Les hospitaux étaient à l’agonie. Le petit duc de l’Attelle en était tout médusé. Quelle était doncques la cause de la pénurie de lits pour accueillir les malades ? Ce brave d’entre les braves se mit en devoir d’enquêter. Madame Panotus la belle Insoumise lui suggéra d’orienter ses recherches vers le gouvernement de Sa Grande Malveillance : n’avait-on point fait des coupes sombres dans les dotations des hospitaux du pays, et tant maltraité les nurses et les garde-malades qu’elles en jetaient leurs blouses de désespoir ? Le Chevalier d’Alanver n’en fut point de reste : « nous essayons de comprendre », telles furent les hautes et nobles paroles que cet infatigable serviteur du Roy prononça quand on lui apprit les défections en grand nombre des apprenties nurses. Nul doute que la vérité allait surgir des enquêtes acharnées de ces fidèles limiers et qu’elle ferait taire toutes les médisances.
Le pays était en proie à une étrange et navrante maladie. Tous et toutes les impétrantes au Tournoi de la Résidence Royale en étaient atteints, hormis Gracchus Mélenchonus. La pestilence de la pensée moisie du sieur Erictus Detritus, marquis des Olives, vicomte de la Zizanie, se répandait tel un poison dans les cervelles. Ainsi monsieur de Montaupatelin, tout à sa Remonte-dada, claironna haut et fort qu’il fallait interdire que les estrangers – qui besognaient chez nous – ne pussent expédier l’argent durement gagné à leurs familles restées au pays, si d’aventure le gouvernement de ce pays ne collaborait point avec le nôtre pour ce qui était de mettre aux fers et de jeter à la mer tous les indésirables, qu’on appelait aussi les Sans-Papiers, lesquels étaient, aux dires du baron, le plus souvent des êtres dévoyés, de véritables gibiers de potence. L’affaire était limpide : on punissait encore et toujours les pauvres hères et l’on donnait ainsi à moindre frais des gages aux Haineux. Le baron de Montaupatelin n’avait en revanche pipé mot des fortunes que les très riches soustrayaient chaque année à l’impôt, pour les conserver dans des cassettes paradisiaques. Monsieur de la Zizanie le félicita chaudement de s’abreuver à sa haine et de concourir à la répandre. On attendait que madame la ChatelHaine de Montretout criât au plagiat car c’était là la thèse qu’elle exposait à chaque fois qu’on lui tendait le crachoir. A moins qu’elle ne décidât de se convertir à la bienveillance et à l’humanisme, tant il lui fallait redoubler de haine et de méchanceté pour faire pièce au vicomte de la Zizanie, lequel lui taillait de telles croupières qu’il ne se sentait plus de joie. Il ressemblait chaque jour davantage à la Grenouille de Monsieur de La Fontaine. Les gazetiers en rajoutaient dans l’enflure, et c’était là chose qui ne laissait d’abasourdir.
L’ancien roy Françoué, dit le Pédalo – dont on se demandait s’il ne concevait point encore une tendresse énamourée pour Notre Turpide Freluquet bien qu’il se complût désormais à en dire tout mal, se rendit sur sa bonne terre de Corrèze, où il s’en fut rencontrer, au milieu d’une meute de gazetiers, la duchesse de l’Ide-Aligot, afin d’avoir avec elle un petit moment d’échanges intimes. Il se murmurait que par le passé, Françoué n’avait point tenu la brave duchesse en haute estime, mais nécessité faisant loi, il s’était décidé à l’adouber. On s’interrogeait. Était-ce le baiser de Judas ? Françoué ne concevait-il point l’idée secrète de revenir sur le devant de la scène, sur un fier destrier, afin de se présenter en recours au royaume du Grand-Cul-par-dessus-Tête ?