Chronique du quatrième jour de mars, en l’an de disgrâce 21
Où il est question de quelques rappels historiques, d’insolentes jérémiades et d’une prodigieuse ordonnance…
Du temps où il n’avait point encore accédé au trône, Pôl de la Bisoute s’appelait Nikola du Petimarécage et c’est sous le nom de Nikola 1er qu’il régna durant cinq longues années. Son règne commença de la plus fracassante des façons lorsqu’il fit dépêcher en très grande pompe la reine Sécylya – flanquée du cardinal de Gai-Han – dans le lointain royaume de la Lybie, que tenait sous un joug implacable son grand ami le cheikh Mouammar. Cette expédition avait pour but de faire sortir des geôles putrides du cheikh cinq nurses et un medicastre bulgares accusés d’avoir commis là-bas quelques impardonnables fautes, lesquelles leur avaient valu d’être condamnés à périr, avant que le cheikh ne se ravisât, moyennant quelques subsides afin d’accroître son confort, et de façon plus accessoire celui de ses sujets. Le roy Nikola s’enorgueillissait d’avoir été de ceux qui avaient su persuader le redoutable Mouammar, lequel, quelques mois plus tard, afin de sceller aux yeux du monde l’amitié qui le liait à son frère d’armes et son obligé, débarqua avec ses tentes, ses chameaux et son harem dans la cour du Château. Les Riens et les Riennes en restèrent longtemps ébaubis.
La reine Sécylya quant à elle avait déjà fui le Château, la Cour et son royal époux. Il se murmurait qu’à la toute fin de leur union, Nikola lui avait fait envoyer un billet dans lequel il promettait de tout effacer si elle revenait repentante au logis. Las ! Sécylya avait déjà mis l’océan entre eux. L’infortuné souverain se consola bien vite entre les bras de Mademoiselle Carlotta dite La Roussie, une cantatrice à l’aigrelet filet de voix qui ravissait autant ses adorateurs qu’il exaspérait ses contempteurs. Mademoiselle Carlotta devint une Reine-Qu-On-Sort des plus minaudantes et des plus sucrées. Il y avait assurément chez cette diva des estrades – elle avait auparavant exercé le métier de porte-manteau – du Marie-Antoinette. Quant à l’embarrassant cheikh Mouammar – dont il se disait qu’il avait été pour Nikola 1er un fort généreux mécène lors du Tournoi qui devait le sacrer souverain, il disparut très opportunément lors d’une guerre à laquelle – selon les dires de la gazette de Tullius Plénus – le roy Nikola n’était point étranger.
Ce fut au bras de Mademoiselle Carlotta que celui qu’on ne connaissait plus désormais que sous le nom de Pôl de la Bisoute fit son entrée dans les salons de la Première Lucarne Magique, laquelle lui faisait les honneurs afin qu’il vînt laver le sien. Mademoiselle Carlotta se croyant encore sur les estrades de la mode, elle avait adopté une mise des plus simples, afin de paraître « peuple », ce qu’elle affectionnait tout particulièrement. Pôl de la Bisoute fut mis à la question par monsieur du Turbin, un gazetier qui n’avait de gazetier que le nom tant sa pratique tenait davantage du cirage de chausses et du porte-crachoir que de la fabrication de nouvelles. L’ancien souverain put ainsi à loisir proférer de vaines jérémiades, sa défense se bornant à affirmer qu’il était une victime – dix longues années que les juges le harcelaient ! – et qu’il n’y avait point de preuve contre lui. Que diable était-ce un crime que de s’enquérir de ce qui pouvait contenter un ami moyennant un retour de faveur ? Pôl de la Bisoute mit en garde les Riens et les Riennes ayant eu l’idée saugrenue de l’écouter dans leurs chaumières. Eux aussi pourraient ainsi se retrouver à la merci des juges sanguinaires. On se souvint fort à propos que cet ancien souverain n’avait eu de cesse de réclamer envers les malandrins et les gueux la plus grande sévérité. Des exemples, il fallait faire des exemples ! Voilà que cette maxime se retournait contre lui.
Heureusement pour Pôl de la Bisoute, mademoiselle Carlotta était d’une touchante fidélité. Elle défendait bec et ongles son divin époux, allant même jusqu’à porter en étendard une affiche qui avait tristement fleuri au lendemain des sanglantes attaques du mois de novembre de l’an de disgrâce 15, sous le règne de Françoué le Mou, lorsque des fanatiques avaient massacré en masse des innocents. Pôl de la Bisoute et Mademoiselle Carlotta étaient en tout point dignes des valeurs en vigueur à la Cour de Sa Pâlichonne Grandeur. Il n’y avait nul étonnement à cela : du temps de son règne, Nikola 1er avait lui-même instauré ces valeurs. N’avait-il point dit de Notre Adoré Monarc que c’était lui, « en mieux » ?
Ce même jour où Pôl de la Bisoute était allé répandre ses âcres jérémiades, le Roy avait réuni en grand secret son Conseil de Défense. Nul besoin désormais d’y adjoindre des médicastres. Louis le Seizième ayant été serrurier à ses heures perdues, Sa Totale Suffisance avait choisi pour se distraire l’art d’Hippocrate. L’occasion avait été fournie par cette épidémie de grippe pangoline qui n’en finissait plus. Il se murmurait, quelques heures avant la causerie du jeudi que le baron du Cachesex infligeait désormais au pays, que Notre Dévoué Morticole avait rédigé quelques ordonnances. Il revenait au baron de les administrer par voie basse.