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Chronique du règne de Manu 1er dit Le Médaillé.

Chronique du 18ème jour du mois de mai, en l’an de disgrâce 20

Où il est question d’une navrante tragi-comédie, d’un naufrage annoncé et de médailles dûment comptées…

Les Riens et les Riennes, qui n’avaient pour tout bien que leurs pauvres vies, et celles de leurs marmots, enrageaient de voir le peu de cas qu’en faisait Sa Malveillante Imposture. Certains se mordaient cruellement les doigts d’avoir accordé crédit à ce fallacieux impétrant au moment du Tournoi de la Résidence Royale. Gracchus Mélenchonus avait eu beau prévenir qu’avec ce Monarc, il y aurait des larmes et du sang, on ne l’avait point écouté. Il fallait maintenant subir en rongeant son frein, ce qui n’empêchait point de fourbir les piques. Les Lucarnes Magiques, où l’on révérait jusqu’à la folie le Roy, narrèrent en images pieuses la visite dans les Marches du Nord où l’on était allé rendre l’hommage à Charles-le-Grand. L’on y vit Notre Petit-Sous-Préfet-Aux-Champs au milieu d’une immensité verte, seul derrière un pupitre, d’où il déroula bien malaisément un verbeux et ampoulé discours que lui avaient scribouillé ses Conseillers. On ne sut à combien ils s’y étaient appliqués mais c’était fort mauvais. Sa Vaine Imposture s’essaya bien à quelques envolées lyriques mais toutes tournèrent piteusement et allèrent s’écraser lamentablement dans l’air chaud de cette belle journée printanière. Pendant ce temps, de vieux soldats blanchis sous le harnois s’accrochaient bravement à leurs hampes d’où pendaient, aussi languissantes que le verbe royal, les bannières de la vieille République. En face, un maigre auditoire tout acquis baillait poliment sous le soleil. C’était la parfaite image de la Starteupenéchionne. Tout à leur ire, les Riens et les Riennes, apercevant quelques bribes de cette piteuse tragi-comédie dans leurs Lucarnes Magiques, en eussent pu concevoir un semblant de pitié pour Notre Médiocre Histrion, tant le spectacle s’y prêtait, mais ils détestaient tant ce prince – dont ils avaient la veille encore goûté la morgue sans limites- que ce ne fut que rires et quolibets.

Le lendemain était un lundi et c’était le jour qu’avait choisi Frau Bertha, la Grande Chandelière de la Germanie pour rencontrer Sa Neigeuse Béatitude, mais hélas, cela ne se pouvait toujours opérer que par le truchement d’une lucarne magique. Notre Affectueux Bibelot était fort marri de ne pouvoir embrasser et bisouiller cette fort digne matrone, laquelle tenait d’une main de fer les rênes de son pays. On devait premièrement deviser ensemble des manigances qu’il convenait de commettre pour en finir avec les conséquences néfastes de la grippe pangoline sur le négoce, puis on se laisserait complaisamment passer à la question, en même temps, d’un côté et de l’autre du Rhin, par des gazetiers tout confits en révérence. Ce fut Frau Bertha qui décida de tout pendant ce conciliabule, comme à son habitude. Sa Lipochromique Suffisance faisait mine de jouer les importants, mais c’était bel et bien la poigne teutonne qui dirigeait. Pendant que la digne Chandelière, aussi compassée qu’un évêque dont elle arborait la chasuble, ouvrait le bal, Notre Zézayant Jouvenceau semblait quant à lui baguenauder, adressant force sourires à l’image de Frau Bertha, à défaut de pouvoir la pinçouiller mignardement, eût-elle été par bonheur à ses côtés.

Le Château avait fait mander aux gazetiers d’annoncer cette rencontre, ainsi que ce qu’il en résulterait, à grands renforts de titres ronflants. On allait voir ce qu’on allait voir. C’était une rencontre historique ! Les clairons sonnèrent, les hérauts braillèrent mais la montagne accoucha d’une souris. Le flegmatique Adrius le Rouge, un des tribuns Insoumis, résuma ce non-événement de façon fort laconique : « il faudra rembourser la dette » et « respecter le cadre des Traités ». Les Riens et les Riennes, déjà fort touchés par la misère, comprirent qu’il leur faudrait donc suer perpétuellement pour rembourser cette fameuse dette – il n’était point question que les Riches y missent un quelconque liard – et que les Chambellans de l’Europe, lesquels n’avaient jamais aucun compte à rendre hormis aux princes et aux rois des Etats – continueraient de tout régenter afin que le négoce pût se faire sans entraves, dût-on pour ce faire restaurer l’esclavage et le travail des marmots . De l’autre côté du Rhin, la situation n’était guère plus enviable pour le petit peuple, bien que l’on s’acharnât continûment à faire accroire l’opposé en citant ce pays en exemple. Gracchus Mélenchonus tonna que la séance avait été « humiliante » et que la vieille République venait d’être rétrogradée au rang de « porte-serviette » du gouvernement teutonique, ce qui par conséquent faisait du Roy un vulgaire laquais de Frau Bertha. C’était là à ses dires « un naufrage dangereux ». Les gazetiers rivalisèrent de flagornerie pour vanter le génie de Notre Béat Européiste et encenser l’entente cordiale entre les deux États. Des autres nations de l’Europe, il n’en était plus question. La Germanie et la Starteupenéchionne, par la voix de leurs princes, s’arrogeaient le droit de décider de tout et toutes seules.

Pendant ce temps, la duchesse de Sitarte, qui avait eu à propos des médailles cette saillie d’une justesse renversante « la reconnaissance du labeur bien fait est une récompense souvent bien plus appréciée qu’une simple élévation des émoluments » – laquelle saillie mettait à mal l’hagiographie de la duchesse, pauvre petite Cosette grelottant de froid sur la dalle de Saint-Denis dans l’attente d’un billet de logement – s’était vue confier la tâche ô combien noble de compter les dites médailles. Il eût été fort fâcheux que se renouvelât l’affaire des masques et celles des écouvillons. Imaginait-on des médailles introuvables, des médailles promises et jamais arrivées, vendues mille fois leur prix, échangées sous le manteau, des médailles trop grandes ou trop petites ? La duchesse y veillait en personne, c’était là gage de sérieux et de vertu. De son côté, un obscur Sous-Chambellan, à qui revenait la tâche de s’occuper des Excursions, le baron de Cénobite, annonça pompeusement que le cercle des quarante lieues – au-delà duquel il était formellement prescrit de se déplacer- pourrait augmenter «de façon concentrique ». Les algébristes et les géomètres se penchèrent sur cette question – un cercle peut-il s’augmenter de façon concentrique ? – d’où il ressortit savamment qu’entre con-finé et con-centrique, il se trouvait quelques interférences et que la Terre était bien sphérique, et qu’elle tournait autour de son axe, effectuant sa révolution autour de l’astre solaire, lequel n’était point celui qui, de façon fort transcendantale, s’imaginait l’être.

Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne, en ce premier jour de la deuxième semaine du Grand Déconfinement.

 

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