Chronique du 2 mai
L’affaire faisait grand bruit. Rantanplan Grand-Chien-Policier de Sa Grande Jacasserie pensait tenir enfin de quoi réduire en bouillie ces maudits Engiletés qui avaient encore battu le pavé lors de ce 1er mai. C’en était assez. Il fallait discréditer cette jacquerie aux yeux des benêts et des benêtes. Mais ce qu’il avait pris pour une aubaine lui éclata en réalité dans les mains, comme les grenades dont il avait chaudement recommandé de pilonner ces séditieux. L’affaire était la suivante : comme à leur accoutumée depuis de longs mois, les Compagnies des Reîtres Sereins – qu’on chargeait de gazer et de molester les factieux – avaient poursuivi jusque devant les portes de l’Hôpital de la Pitié une petite troupe de Riens et de Riennes. Quelques-uns ne portaient même pas le gilet jaune de la jacquerie. C’étaient des trimardeurs, des prolétaires qui entendaient ce jour-là faire entendre leur voix. Les reîtres obéissaient aux ordres avec un zèle inouï pour certains. Frapper était un exutoire. Ils se lâchaient. On nassa donc les gueux et on allait s’apprêter à les gazer et à les écrabouiller quand certains, effrayés à l’idée de ce qui allait leur arriver, finirent par ouvrir les grilles et pénétrèrent par l’arrière dans la cour de l’hôpital. Ils avisèrent une passerelle qui donnait accès à des bâtiments. Ils n’avaient qu’une idée : échapper à leurs sinistres poursuivants. Ils s’y engoufrèrent. Las ! Cette passerelle menait à des services de soins. Les infirmières qui se trouvaient là, bien qu’elles comprissent la raison qui poussait ces gens à vouloir fuir, empêchèrent la petite troupe apeurée d’aller plus loin. De grands blessés se mouraient là, on ne pouvait y entrer. Personne ne força le passage. Les reîtres arrivèrent, qui firent descendre leurs gibiers. Le Sieur Casse-Ta-Mère, quand il apprit les faits, décida de se livrer à une sordide manipulation. Il fit courir le bruit qu’un reître blessé avait été amené dans cet hôpital pour y être soigné. Ces maudits Engiletés voulaient l’achever ! Ce fut en substance ce dont il nourrit les gazetiers-à-la-gamelle. Il utilisa un vocabulaire guerrier : c’était une attaque en règle. Les infirmières avaient été agressées. Un argousin avait été blessé. Du matériel avait été saccagé.En un mot comme en cent, Rantanplan Grand-Chien-Policier désignait cette petite bande comme de dangereux séditieux dont le but avoué était de détruire l’hôpital ! Le duc du Havre, monsieur du Flippe, renchérit. Ces gueux voulaient la mort du service public ! Toute la cour entonna le même air outragé. Les gazetiers-fort-bien-nourris-aux-croquettes relayèrent cette faqueniouse sans même se donner la peine de vérifier la véracité des faits. Mais patratras ! Des riverains de l’hôpital, des journalistes de rue, des infirmiers, et même des médecins – où allait-on ? – donnèrent de l’incident une version tout à fait différente. Au Château, d’où était absent Notre Pusillanime Brimborion, les conseillers du cabinet noir réfléchirent à machiner un rétropédalage. On conseilla aux services de la Chancellerie des Affaires Domestiques de modifier quelque peu la communication du Chambellan. Le mot attaque disparut comme par enchantement. On le remplaça par « intrusion ». Il contenait encore juste ce qu’il fallait de scélératesse pour flétrir les Engiletés.
Parmi les Riens et les Riennes, la colère le disputait à l’écœurement. Gracchus Mélenchonus, qui avait appelé à la prudence dès que la soi-disant « attaque » avait été révélée par les gazettes avides de f, qualifia Rantanplan de menteur. D’autres voix s’élevèrent pour s’indigner contre ce mensonge éhonté contre le peuple. Un comique qui sévissait sur une Gazette parlée, eut cette saillie : en matière de destruction du service public de l’hôpital, c’était du côté du gouverne-ment de Sa Toxique Bienveillance qu’il fallait regarder. Il ne se passait pas une semaine sans que l’on n’annonçât que des services de soin fermaient pour cause de « non-rentabilité ».