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Chronique du règne de Manu 1er dit le Bâtisseur de cathédrales.

Chronique du 25 avril.

Le mystérieux incendie de la cathédrale avait provoqué le grand ruissellement. Toutes les Très-Riches-Amis de Sa Petite Gloire avaient ouvert leurs bourses pour déposer une modeste obole afin de concourir aux réparations. Modeste était véritablement le mot qui convenait si l’on voulait bien considérer la somme promise au regard des fortunes des très généreux donateurs, lesquels s’achetaient ainsi des indulgences à peu de frais. Les dons seraient déductibles des impôts, et au final, ce seraient ces imbéciles de Riens et de Riennes qui paieraient. Des voix s’élevèrent, parmi le peuple, pour déplorer que cette soudaine et dégouttante générosité ne s’appliquât à toutes celles et ceux qui crevaient dans les rues. Mais chez les Riches, on avait la charité sélective.

Notre Immensurable Opportuniste n’avait pu prononcer l’allocution qu’Il avait préparé pour annoncer enfin à son vil peuple toutes les mesures destinées à faire cesser cette stupide Gileterie. On l’avait aperçu, le soir funeste, se rendre sur les lieux de la tragédie – ou de l’aubaine ? en compagnie du Premier Grand Chambellan. Sa Primesautière Petitesse étouffait un rire dans son poing : Monsieur du Havre venait de le régaler d’une de ses saillies dont il était coutumier. L’instant s’y prêtait tout à fait.

Les sombres Conseillers qui œuvraient dans le cabinet noir pressèrent Sa Joyeuse Hauteur de prononcer une homélie en hommage à cette pauvre cathédrale. Les Lucarnes Magiques retransmirent ce moment grandiose. Notre Effervescent Bâtisseur s’adressa à son peuple qu’Il éleva au même rang que lui, à moins que ce ne fût en réalité qu’un Nous de majesté. On reconstruirait la cathédrale en cinq années ! Il avait fallu deux siècles ? Fi ! La maison Vinci – qui arborait ce nom magnifique en le flétrissant hélas ! – s’était déjà portée sur les rangs. Il y avait beaucoup d’argent à gagner. On installerait un péage à l’entrée, et, dès la première année de l’exploitation, les riches investisseurs rentreraient dans leurs frais. On érigerait des vitraux en trois dimensions aux effigies des généreux donateurs. Quant à la flèche, Sa Visionneuse Excellence imaginait quelque chose de totalement disruptif. Cette reconstruction serait Son grand Œuvre ! Et qu’importe si pour cela on aurait à enfreindre quelques règles fort ennuyeuses qui avaient été édictées en d’autres temps pour conserver le patrimoine. Il fallait vivre avec son temps, que diable !

La baronne du Saint-Croque, grande thuriféraire du règne de Notre Divin Enfançon, loua le verbe princier. Elle y vit une parabole christique. La duchesse de la Tombale, qui était à la ville la très momifiée épouse du grand Philosophe monsieur de Béhachelle, entonna un Ave Maria en hommage à la pauvre cathédrale qui n’en demandait pas tant. Le baron de la Baizieux, qui avait pris la tête de la Faction des Patrons du pays, fustigea tous ces Riens et Riennes jaloux qui osaient critiquer les généreux donateurs. De quoi se plaignait-on, diantre ?

Le samedi qui suivit, ces forcenés d’Engiletés redescendirent arpenter le pavé. Les argousins, comme à leur accoutumée, gazèrent, matraquèrent et éborgnèrent d’importance. Les femmes n’étaient point épargnées, ni les véritables journalistes, qui tentaient de rendre compte, les fâcheux, de l’implacable répression qui s’abattait sur le peuple en jaune. L’un de ces insconscients, un dénommé Gaspard Le Valeureux, reçut un éclat de grenade à la jambe. Empêché de couvrir les événements en cours, il alla s’enquérir d’un commissaire. Mais il fut appréhendé manu-militari, pour avoir osé faire un geste quelque peu inconvenant à un argousin, lequel venait de le molester sans ménagement. On le mit aux arrêts pendant deux jours dans des geôles putrides, on l’affama, tout juste si on lui donna un peu d’eau. Il s’en trouvait beaucoup chez les argousins et les gens d’armes qui voulaient en finir avec ce séditieux, ce dangereux extrémiste, ce subversif qui laissait traîner ses yeux là où il ne fallait pas. C’était à lui qu’on devait la malencontreuse découverte des agissements du sieur de GrosBras. Sa tête était mise à prix. La justice aux ordres lui interdit de fouler le sol de la capitale pendant de longs mois. C’était là l’empêcher de faire sa besogne. C’était le condamner à crever de faim. A la Chancellerie des Choses de l’Intérieur, on ne trouva pas de mots assez durs pour fustiger son travail. Mais il ne s’y trouva personne pour s’émouvoir des appels à le suriner qui avaient été émis depuis les Réseaux Sociaux. Ainsi en allait-il dans la Glorieuse StartupNéchionne. La liberté de la presse se conjuguait désormais aux temps du passé. Hormis la révérence et les croquettes, point de salut.

La Marquise de l’Oisot était empêtrée dans une fâcheuse histoire qui ternissait quelque peu son image. L’insupportable Tullius Mustachus avait révélé que la dame, en ses jeunes années de formation, avait concouru à un Tournoi avec une faction de Haineux ! Elle s’était trouvée en quatrième position pour briguer un fauteuil au conseil de l’Université où elle faisait ses sciences politiques. Or, pour se défausser, après avoir commencé par jouer les amnésiques, madame de l’Oisot prétendit qu’elle n’avait pas remarqué que ses colistiers étaient des Haineux. Elle avoua n’y rien connaître en politique à cette époque…ce qui était pour le moins étrange : elle suivait précisément une formation en politique. De dénégations en aigres récriminations, la Marquise finit par lâcher devant un vieux gazetier, le sieur de l’Ellequebache, que si elle avait voulu « rester » chez les Haineux, elle y aurait une place magnifique . « Aujourd’hui l’offre est superbe » roucoula-t-elle avec cet inimitable accent de Neuilly. Mais, quand on avait partagé le même fond de commerce et qu’on en avait gardé des tournures de l’esprit, il devenait pour le moins difficile de se faire passer pour la plus farouche adversaire de la marquise de Montretout.

Les annonces que Notre Petit Quasimodo aurait du initialement prononcer le soir de l’incendie avaient étrangement fuité dans les gazettes. L’effet de surprise qui aurait du enflammer le pays et réduire à quia ces maudits Engiletés était en réalité un pétard mouillé. Mais les services du Château communiquèrent à grand renfort de superlatifs sur le rendez-vous que Sa Toxique Bienveillance reprenait avec les Riens et les Riennes. On allait enfin tout comprendre. Le règne de Notre Génie des Matraques allait prendre un nouvel essor.

La nouvelle allocution prit la forme d’une conférence. Sa Petite Suprématie dominait un parterre de gazetiers tout ouïe, entièrement acquis, sauf un ! Gaspard Le Valeureux avait obtenu une accréditation d’une gazette séditieuse. Mais avait-il pu passer les barrages de sécurité ? Rien n’était moins sûr. Les services du Château avaient opéré un tri drastique. Il n’était point question que quelques fâcheux viennent gâcher la fête et poser de sottes questions. On les débouta sous de fallacieux prétextes appelés « erreurs informatiques ».

On écouta donc religieusement et irréligieusement Notre Zozotant Bonimenteur dresser le sombre tableau de ce pays. Il se croyait revenu au temps de la Grande Parlotte. Il la refaisait en intégralité. Les Riens et les Riennes, qui n’avaient point été conviés à la grande messe, observèrent tout ceci sur les Réseaux Sociaux. Au fur et à mesure des annonces, beaucoup s’étranglaient de rage. Le cri unanime qui montait était « tout ça pour ça ? » . Son Inflexible Mesquinerie annonçait en fait qu’Elle ne changerait en rien ce qui avait été fait jusqu’ici et qui avait mis une partie du pays sur le pavé. Tout au plus concédait-il quelques mesurettes. Il n’était point question de revenir sur la suppression de l’impôt sur la fortune. Bien au contraire, Notre Petit Frère du Gotha défendit mordicus sa réforme et fit œuvre de pé-da-go-gie. Le peuple ne comprenait rien, il fallait laisser les zélites et les zélus œuvrer. On baisserait les impôts pour tout le monde…et on supprimerait donc aussi les services publics ! Il serait aussi mis fin à cet insupportable privilège du statut des fonctionnaires. « En même temps », Sa Pipeauteuse Platitude annonça qu’il fallait réduire les inégalités dès les premiers jours de vie…Tout était à l’envi : un verbiage pompeux qui vous hérissait jusqu’au moindre poil. L’odorante arrogance était le trait qui caractérisait le mieux Notre Très-Détesté Suzerain.

Les Engiletés ne s’étaient fait aucune illusion. Ils éteignirent les Lucarnes Magiques et fourbirent leurs gilets. De son côté, le Feldmaréchal nouveau chef de la maréchaussée de la capitale prenait lui aussi des mesures d’envergure : il envisageait de lâcher usur ces maudits gueux des mâtins qu’on aurait bien pris soin de ne pas nourrir pendant quarante-huit heures.

Les gazetiers-fort-bien-nourris-aux-croquettes et fort gentiment alignés dans la grande salle des fêtes du Château écoutèrent Sa Jacasseuse Suffisance pendant une très longue heure puis ce furent les questions qui ne fâchaient jamais. Notre Poudré Monarc affirma se contrefoutre du prochain Tournoi de la Résidence Royale, mais en disant cela, il se frotta furieusement le nez. « Pour réussir,, je dois assumer de prendre d’autres décisions qui seront impopulaires, difficiles. » . Quand Sa Jupitérienne Petitesse avait été victorieuse, Gracchus Melenchonus avait prévenu : « il vous fera suer du sang et des larmes. ». On y était. Les éditocrates s’employèrent illico à dresser l’éloge du Verbe Princier, mais ils se trouvèrent vite fort embarrassés. Notre Effréné Ventilateur avait beaucoup brassé. Mais une fois l’effet passé, il ne restait plus que du néant.

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