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Chroniques du règne de Manu 1er dit le Petit, au temps de la grippe pangoline.

Chronique du huitième jour du mois de décembre de l’an de disgrâce 20.

Où il est question de filiation, de sédition et de versification…

Le trépas du très vieux et très cacochyme roi Valkiry fut l’occasion pour Notre Petit Ordonnateur des Pompes Funèbres de se livrer à un long et dégoulinant panégyrique, qu’il infligea à Ses Mauvais Sujets en guise de potage. Après avoir exprimé tout le bien qu’Elle pensait de ses illustres prédecesseurs, voilà que Sa Nuageuse Altitude s’avisait que le meilleur d’entre eux était celui qui n’avait régné que sept années, vaincu par le roi Françoué dit Tonton. Voilà que Notre Poudreux Thuriféraire trouvait à Valkiry toutes les vertus. Voilà qu’Il sommait son vil peuple de faire pénitence pour n’avoir point vénéré ce souverain dont il voulait qu’apparussent enfin au grand jour les liens qui les unissaient – n’était-il point son fils putatif né d’une union morganatique avec la baronne de Tâtechair, Lady Iron ? Conçu en secret dans une alcôve, il se murmurait que le marmot avait été confié par la suite à un couple de bourgeois d’Amiens et élevé chez les Bons Pères.

Sa Sélective Amnésie tenait pour quantité négligeable que, sous le règne de Valkiry, on eût raccourci quelques condamnés à mort, sans que la grâce royale ne vint suspendre la machine de monsieur Guillotin – quand bien même le doute était encore permis sur la culpabilité de l’un de ces condamnés -, qu’on eût fait mettre en berne tous les oriflammes du pays quand le vieux Caudillo, lequel tenait le royaume de l’Hispanie dans une main d’acier, fut passé de vie à trépas, lui qui avait ordonné que l’on mît à mort par garrottage quelque temps auparavant des séditieux basques. Le roi Valkiry avait aussi compté parmi ses Chambellans un ancien Prévôt de monsieur Pétain, un certain Pas-Bon du Tout, qui avait trempé tout entier dans la sinistre époque de la Collaboration avec la Germanie de monsieur Hitler, et qui s’était ensuite illustré comme Prévôt de la place de Lutèce. « Pour un coup donné, nous en porterons dix » avait claironné celui dont on se demandait fort s’il n’avait point été le mentor du Sieur Teutonic, envoyant ses troupes courir sus à celles et ceux qui réclamaient l’indépendance de l’Aljazair. Les coups de bâton avaient été légion et pour y échapper, des malheureux s’étaient jetés dans la Seine. L’année qui avait suivi cette sinistre nuit d’octobre, le Sieur Pas-Bon du Tout avait pris pour cible des bolcheviques dont il eût aimé faire de la charpie. Il y parvint pour neuf d’entre eux qui périrent sous les coups de la maréchaussée.

Le roi Valkiry n’avait pas vu malice à ce que ce sanglant Prévôt fût Chambellan à la Cassette.

Le lendemain de la glorieuse réhabilitation de son père naturel, Notre Vibrionnant Zébulon se transporta avec toute sa suite dans le salon d’une Lucarne Magique, laquelle était censée être regardée par la jeunesse du pays. « Sire, il vous faut vous faire aimer à nouveau par ces êtres frais et naïfs, ils vous assureront la victoire au Tournoi» avaient mielleusement susurré les Conseillers. Le Roy ne se fit donc point prier pour se livrer à son autre exercice favori : la Grande Parlotte. Pendant deux interminables heures, il fut question des maux du pays au premier rang desquels figuraient bien sûr ces maudits Insoumis, mais aussi tous ces sinistres séditieux qui n’avaient point d’hémisphère droit dans leurs cervelles, ces gazetiers impertinents qui mettaient leurs vilains nez là où il ne fallait pas, ces zécolos excités de la binette qui allaient partout criant qu’on courait à la catastrophe et qui avaient commis le crime de lèse-majesté en décrochant les portraits de Sa Sublime Perfection. Tout au plus le Roy concéda-t-il qu’il y avait quelques échecs patents, mais aucun ne lui était imputable, c’était la faute de tout le monde.

Le gazetier qui tendait le crachoir à Notre Poudreux Bonimenteur l’interrogea sur sa maréchaussée. Sa Sérénissime Altitude se trouva contrainte, en se frottant frénétiquement les mains -afin de se laver par avance de ses propos, d’avouer qu’il y avait bien de la part de la maréchaussée quelques « violences », prononçant là ce mot honni par Elle-Même pendant la Grande Gileterie, ce mot qui faisait s’étouffer le petit duc du Dard-Malin. Le Roy alla même jusqu’à admettre que certains chez les argousins commettaient une faute en choisissant de ne vérifier que les laisser-passer de ceux qui avaient la malchance d’avoir la peau sombre ou basanée. Pour le coup, ce furent les Guildes d’argousins qui en conçurent de bouillonnantes vapeurs, demandant à leurs affidés de plus pratiquer aucun contrôle.

On était au Royaume du Grand Cul par Dessus Tête. Ce n’était plus le Chambellan aux Affaires Domestiques qui tenait les rênes de la maison Poulaga, mais les Guildes qui rappelaient des temps que l’on avait cru oubliés et remisés. Le Conseil des Chambellans n’était plus en vérité qu’une misérable coquille de noix vide, Notre Verbeux Tyranneau n’écoutant plus que son Conseil de Défense. Monsieur le Chevalier d’Alanver – attendant toujours son titre de baron, qu’il estimait plus que mérité au vu du mal qu’il se donnait afin de faire prendre les vessies pour des lanternes aux Riens et aux Riennes qui rongeaient amèrement leur ire – faisait la pluie et le beau temps, soufflant le chaud et le froid, à moins que ce ne fut l’inverse, on ne savait plus. La petite duchesse de la Gerbée – pour qui tous les manifestants étaient des séditieux sanguinaires- se consacrait corps et âme à la cause de monseigneur le duc de la Blanche Equerre, dont Sa Mesquine Manigance entendait se servir pour faire pied à la baronne de la Patronnesse, afin que cette dernière fût obligée de s’allier à la Faction de la Marche pour garder son fief de l’Ile de Rance. Monsieur le duc du Dard-Malin, flanqué de l’inénarrable madame de la Courge, et alors qu’il était encore empêtré dans son édit, lequel faisait se déverser sur le pavé chaque semaine des Riens et des Riennes fort inquiets, allait devoir remonter à cheval pour défendre un nouvel édit, dont on disait le plus grand mal, tant il était de nature à désigner tous les Mahométans et Mahométanes comme des ennemis du royaume.

Pendant ce temps, le duc de Gazetamère herborisait et versifiait fort laborieusement. Rantanplan s’était découvert une passion secrète pour la poésie nipponne et on le vit à plusieurs reprises gazouiller sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur. La duchesse des Charentaises et du Poitoutou, voulant faire un mot d’esprit, montra le fond de son mépris pour le peuple des campagnes, dont elle s’attira l’ire. Les paysans se sentirent moqués par la comparaison dont usa la duchesse pour parler de la place Beauvau, prétendant qu’au fond des chaumières on ne savait qu’entendre «un beau veau ». Le trait qu’elle voulut décocher contre le Roy alla piteusement se ficher dans son escarpin, faisait rire sous cape Madame la duchesse de l’Ide-Aligot, laquelle entendait bien prendre la place que madame des Charentaises convoitait pour le Tournoi de la Résidence Royale. La bourgmestre de Lutèce était l’exact pendant féminin de Notre Jupitérien Jouvenceau, lorsque quatre années auparavant il avait prétendu représenter le camp du progrès social.

Pour l’heure, le Roy, qui avait donné à entendre lors de Sa Grande Parlotte un tropisme tout néronien, recevait en grande pompe le Pharaon du royaume de l’Egypte, le sanguinaire Al Nonnon.

Ils avaient à discuter de mystérieuses affaires.

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Chroniques du règne de Manu 1er dit le Petit au temps de la grippe pangoline

Chronique du deuxième jour du mois de décembre, en l’an de disgrâce 20…

Où il est question de coups bas, de neige interdite et d’une riante perspective…

Les Riens et les Riennes furent très nombreux à battre les pavés des cités du pays pour protester vigoureusement contre l’édit du duc du Dard-Malin, lequel édit avait pour but d’exercer un contrôle généralisé de toute la population du pays, à l’aide de lucarnes scélérates et d’engins volants motorisés munis d’automates qui reconnaîtraient jusqu’au moindre de vos poils et vous mettraient en fiche dans un grand livre que la maréchaussée pourrait désormais compulser à loisir sans que la Justice eût à y donner son autorisation. Les argousins, dont quelques-uns s’étaient, quelques jours auparavant, illustrés de façon fort embarrassante, étaient sur des charbons ardents. Le Grand Prévôt de Lutèce, l’ineffable Sieur Teutonic, s’était adressé à ses hommes dans une missive si ampoulée qu’elle eût pu à elle seule remplacer tous les becs de gaz du pays. Cet homme inflexible leur ordonna d’avoir « la riposte appropriée » – étant naturellement entendu que la populace était l’ennemi auquel il fallait courir sus – et de tenir « la ligne républicaine ». On put voir le soir même combien il avait été entendu. Un jeune émule de Monsieur Niepce, un Syriaque qui avait fui son pays en guerre pour venir trouver asile dans le nôtre, afin d’ y exercer sa passion qui était de montrer au monde par ses saisissantes photographies les effets délétères de la violence, fit les frais avec d’autres malheureux du zèle des argousins. L’un d’eux – alors même qu’il était patent que ce brave ne faisait que son métier, le battit comme plâtre à l’aide de son bâton ferré, lui fracassant le nez et lui brisant l’arcade sourcillère. Le pauvre jeune homme confia qu’il avait un instant cru être revenu dans son pays en guerre, là où il avait naguère failli perdre la vie.

Les argousins récoltèrent aussi ce qu’ils avaient semé. Certains furent pris à partie par des bandes armées, dont on ne savait trop comment ces mêmes argousins les avaient laissé passer, alors même que les quidams inoffensifs étaient fouillés et sévèrement contrôlés. C’était à n’y rien comprendre, à moins que le but ne fût de détourner l’attention : ne fallait-il pas montrer à la majorité silencieuse qui se terrait dans les chaumières par peur des miasmes que les excités qui s’en étaient allés soi-disant défendre la liberté, n’en voulaient en réalité qu’à la vertueuse maréchaussée ?

La veille, Notre Amnésique Trouillard s’était adressé à Ses mauvais sujets par le truchement des rézosociaux pour leur dire tout son effroi et sa honte devant les images de ce brave Rien grandement malmené par des argousins, dont on allait apprendre par la guilde qui les défendait bec et ongles, qu’ils avaient, les malheureux, agi sous l’emprise de la frayeur et de leur odorat délicat, et que le quidam, compte-tenu qu’il avait la face « nouare » avait sûrement beaucoup à se faire reprocher. D’ailleurs, n’avait-on point trouvé quelques miettes d’une substance illicite dans la besace de cet ennemi public ? Les Lucarnes Magiques bruissaient du caquètement incessant de la volaille qui faisait l’opinion. D’aucuns, parmi les Riens et les Riennes, se demandaient toujours, avec des mines effarées, ce qu’il adviendrait du pays si la ChatelHaine de Montretout remportait le Tournoi de la Résidence Royale. A fréquenter les salons des Lucarnes Magiques, on eût pu aisément croire que c’était là chose faite tant les idées nauséabondes des Haineux s’étaient répandues telles les miasmes de la peste noire et avaient prospéré, gangrenant les cervelles. Monsieur du Prout, ce faux gazetier, en était sévèrement atteint, de même que le très bilieux Monsieur de la Zizanie.

Las pour ces argousins, Sa Vertueuse Blancheur ne l’entendit point ainsi, Elle exigeait que Ses Chambellans ravaudassent sur le champ le torchon brûlé entre le peuple et la maréchaussée, et qu’on fût intraitable Mais on comprit fort aisément que ce qui chagrinait par dessus tout le Roy, c’était encore et toujours les images ! Le lendemain, ce furent celles des pauvres argousins à moitié lynchés par des quidams tout de noir vêtus qui excita son ire. Il en oublia illico les mots sévères qu’il avait eu la veille . « La Startupenéchionne est un pays d’ordre et de liberté, pas de violence gratuite et d’arbitraire » fut-il royalement clamé depuis le Château sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur. Laquelle des personnalités de Notre Multiple Bonimenteur fallait-il croire ?

La maladie du vire-vire qui avait contraint ce pauvre baron du Cachesex à s’aliter semblait donc avoir atteint Sa Nuageuse Altitude. Le Premier Grand Chambellan, qui avait encore le tournis, fut convoqué au Château, ainsi que le duc de Gazetamère, subitement revenu en grâce. Le Roy chargea – à la grande satisfaction de son fidèle Rantanplan – le duc du Dard-Malin de tous les maux nés de cette maudite loi, laquelle allait bientôt se transformer en édit. Il fallait escamoter au plus vite ce fâcheux article vingt-quatre dont le seul et unique responsable était tout trouvé : le malheureux Chambellan aux Affaires Domestiques, monseigneur le duc du Dard-Malin. Notre Poudreux Amnésique avait oublié deux petits détails : en premier lieu que Ses Dévôts venaient d’approuver la dite loi – quoiqu’il y en eût quelques récalcitrants, on avait été bien aise de trouver les voix des Raits Publicains et des Haineux – et qu’il revenait maintenant à la Chambre Haute d’en décider, et en deuxième que c’était au Château que cet article avait été écrit par Son Altesse Elle-même sous la dictée des guildes d’argousins qu’on avait reçu en grand secret …

Le duc du Dard-Malin rentra fort marri dans son hôtel, remâchant son ire en même temps qu’il digérait son chapeau, tandis que Rantanplan, fier comme un pou, plastronnait. Les Dévôts se mirent aussitôt à plat-ventre face à terre devant le Roy et assurèrent les gazetiers que les plumes couraient déjà sur le vélin pour réécrire cet embarrassant article. Nul ne songea à prévenir les vieilles badernes de la Chambre Haute, on les avait purement et simplement oubliées, Sa Tyrannique Mesquinerie n’ayant dans cette assemblée aucun partisan.

Le Premier Grand Chambellan était quant à lui fort occupé à rédiger un nouvel édit qui interdirait aux Riens et aux Riennes de désobéir aux ordres royaux. L’hiver arrivait, la neige tombait déjà en quantité mais les Conseillers avaient suggéré au Roy qu’il était folie de permettre aux Riens et aux Riennes d’aller au grand air. S’entasser à des centaines dans les charrettes communes était à l’inverse tout à fait inoffensif, les miasmes étant claustrophobes et préférant les grands espaces ensoleillés. Mais l’on s’avisa que certains récalcitrants pussent concevoir la mauvaise idée de franchir les frontières pour gagner l’Helvétie où ne régnait point la frénésie bureaucratique, laquelle était la mamelle du Conseil de Défense. Le baron du Cachesex prévint : on n’hésiterait pas à engeôler les contrevenants. D’aucuns risquèrent cette question : comment les argousins sauraient-ils si vous reveniez d’être allé embrasser – bien que cela fût aussi tout à fait prohibé – votre grand’tante ou si vous aviez enfreint la loi en allant glisser sur des planches sur la poudreuse ? Revenir du royaume de l’Italie ou de l’Helvétie consisterait en soi une preuve de désobéissance. On était prévenu. Du reste, les sorties nocturnes seraient strictement interdites, le couvre-feu devant à nouveau entrer en vigueur dès les Ides de décembre.

Ce fut le moment que choisit le vieux roi Valkiry pour trépasser. Il avait coûté en entretien après-règne une fortune aux Riens et aux Riennes. Il n’y avait plus qu’à espérer que Niko dit les Casseroles, qui avait pour l’heure à subir chaque jour le grand mal de se retrouver face à ces magistrats qu’il haïssait afin de répondre de malversations et de méfaits, fût reconnu coupable et allât par bonheur goûter la paille humide des cachots, et que Françoué dit le Scoutère fût victime de l’ire d’un mari jaloux pour n’avoir plus comme perspective que celle d’entretenir Notre Effervescent Bibelot lorsqu’il chuterait au prochain Tournoi. Mieux valait le payer à se pavaner inutilement que de lui permettre de remonter sur le trône, tant son règne s’avérait calamiteux, sauf pour les Très-Riches, qui ne l’avaient jamais autant été.

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Chroniques du règne de Manu Le Petit, au temps de la grippe pangoline.

Chronique du huitième jour du mois de novembre de l’an de disgrâce 20

Où il est question de supputations en tout genre, d’une fracassante nouvelle…sans oublier la dinde…

Au Château, c’était la consternation. Le Roy était grandement éploré. On le disait au plus mal, suffoquant et ergotant sans cesse « Que vais-je devenir ? Que vais-je devenir ? » Quelle était donc cette si fâcheuse nouvelle qui obscurcissait le ciel serein de Notre Ethéré Jouvenceau ?

Etait-ce le fait de devoir supporter Ses sujets récalcitrants, ces mauvais bougres qui obéissaient si mal à son nouvel Édit, par lequel Il imposait sur tout le territoire le Deuxième Grand Confinement, qu’on appelait aussi la Grande Passoire ?

Etait-ce les colères de Son favori, l’atrabilaire Chevalier d’Alanver, qui avait si généreusement postillonné sur les représentants du peuple à la Chambre Basse, les sommant de quitter ces lieux s’ils n’obtempéraient point à ses ordres de voter comme on leur en avait intimé l’ordre ?

N’était-ce point plutôt le fait d’être devenu la tête de turc du Pacha de l’Empire Ottoman, Herr Dogan, lequel ne manquait désormais plus aucune occasion pour dire tout le mal qu’il pensait de la santé mentale de Notre Poudreux Matamore ? Un autre fanatique mahométan avait encore une fois perpétré chez nous trois odieux assassinats, dans la bonne ville de Nice. Comme le baron de La Fesse Transie, le bourgmestre de cette citée endeuillée, avait illico endossé l’habit des Croisés, rejoint par l’ineffable petit duc de la Schiotte, le Roy avait cru bon d’en faire autant. Herr Dogan, qui en avait déjà après Sa Vertueuse Verbosité au sujet de la guerre dans la lointaine Syrie, l’avait poursuivi de son ire, l’accusant de vouloir en finir avec tous les Mahométans de la terre dont il se croyait le chef.

Ne fallait-il point au contraire aller chercher du côté du Savant de Marseille, que Notre Doucereux Hypocrite, selon quelques indiscrétions, continuait de consulter, alors même que le Chevalier d’Alanver avait juré de faire rendre gorge à cet impudent, qui prétendait encore et toujours soigner la grippe pangoline avec des potions de quatre sous, quand on faisait tout ce que l’on pouvait pour qu’il en mourût beaucoup parmi les Riens et les Riennes, afin de présenter l’antidote miracle qui se concoctait dans les laboratoires secrets de la maison Bique-Farma, et qu’on vendrait à prix d’or ?

Mais n’était-ce pas en réalité les perspectives apocalyptiques qu’agitait frénétiquement monsieur du Défraichis, qui présidait au Conseil des Savants, rejoint en cela par ses pairs, tous ou presque adeptes de Monsieur Diafoirus, perspectives selon lesquelles les Riens et les Riennes devaient se préparer à passer les fêtes de fin d’année confinés au logis, dûment masqués, même pour cajoler les bambins – dont moult médicastres affirmaient que cela n’affecterait en rien le développement de leurs personnalités – , en tremblant à l’arrivée de la Troisième Vague ? Pour mater la révolte, si révolte il y avait, il suffirait que le Sieur Teutonic exerçât sa poigne de fer dans tout le pays, comme il le faisait pour la bonne ville de Lutèce.

Notre Tyrannique Bibelot n’écoutait du reste plus guère son Conseil des Savants. Il lui préférait grandement son Conseil de Défense, lequel était devenu le véritable gouvernement du pays. La vieille République était morte et enterrée. Les membres du Conseil de Défense réunis en grand secret chaque mercredi autour du Roy n’avaient de compte à rendre à personne, hormis à Sa Divine Omnipotence. On ne savait ce qu’il s’y disait, puisque chacun y était tenu au silence le plus absolu. Le Premier Grand Chambellan, le baron du Cachesex en était, bien entendu, ainsi que les favoris, le Chevalier d’Alanver et le duc du Dard-Malin. Le Roy s’était aussi entouré d’un général et de hauts fonctionnaires. La seule femme de l’aréopage était madame la baronne de la Part-Mollie, en sa qualité de Chambellane aux Armées. Nul médicastre, hormis l’atrabilaire Chevalier, dont on se demandait toujours où il avait fait sa médecine, nul savant, hormis l’ineffable baron du Cachesex, dont les connaissances en matière de Comices Agricoles faisaient toujours merveille. Si ce n’était contre les miasmes pangolins, contre qui doncques ce Conseil se défendait-il ?

Le tribun Gracchus Mélenchonnus avait tonné contre l’irresponsabilité de ce comité, qui méprisait le peuple souverain. Le bouillant tribun continuait de croire qu’il y avait encore, quelque part gisant sous les décombres fumants de la vieille République, le corps mutilé de Marianne. Las ! Il était bien le seul. Du côté de la droite de la Chambre Basse, le baron du Tranbert haussa quelque peu le ton, mais point trop n’en fallait. Monsieur le duc de la Jade d’Eau protesta lui aussi fort mollement. Le Roy l’eût-il convié en raison de ses immenses qualités que notre duc eût sauté de joie à l’idée d’en être.

A moins que ce ne fût monseigneur de la Blanche-Equerre – dont il se disait qu’il était devenu l’hémisphère extrême droit de la cervelle du Roy- , qui ne désespérât ce dernier au point de lui faire douter de la réussite de leur entreprise ? Non content d’avoir réduit les prétentions de ces fainéants de maitres des escholes, le duc avait tenté de les museler afin qu’ils ne rendissent qu’un hommage des plus discrets – ou pas d’hommage du tout – à leur pair tombé sous les coups du fanatique. Mais voilà que les maitres craignaient de subir de front l’attaque des miasmes pangolins, ils réclamaient à cor et à cris des aménagements. Monseigneur le duc leur répondait invariablement « Protocole ! Protocole ! Protocole vous dis-je ! ». Exaspérées, mais continuant tout uniment de parlementer avec les gens du duc et le duc lui même, leurs guildes de défense les enjoignirent à se croiser les bras en signe de protestation. On arrêta pour cela la date du dix du mois de novembre.

Tous ces désagréments chagrinaient peu ou prou le Roy, mais là n’était point la raison de son désarroi. Il fallait en chercher la cause de l’autre côté de l’océan, dans le royaume des Amériques. Sir Donald, son grand ami, son mentor, son maitre, sir Donald le Magnifique venait d’être déchu ! Au terme d’un interminable Tournoi auquel nul ne comprenait goutte, la terrible nouvelle venait de tomber : le nouvel empereur de l’Amérique Septentrionale était le baron Du Bidon. Notre Minuscule Caniche en était tout retourné. Il ne connaissait rien des us et coutumes de Sir Joe, comme il faudrait l’appeler. C’était un quasi-vieillard, et c’était une bonne nouvelle. Il avait de surcroît ravi les beaux esprits de la Startupnéchionne en se choisissant comme vice-roi une reine, la baronne de l’Harisse, une courtisane des plus sémillantes qui s’était rendue célèbre en divulguant sur une Lucarne Magique sa recette de la dinde pour Thanksgiving.

Ainsi en allait-il au Grand Royaume du Grand Cul Par-Dessus Tête. Confinés et confits dans leurs logements mal aérés, les Riens et les Riennes broyaient du noir et suçotaient amèrement les reliefs de leur maigre volaille, pendant que leur Prince se faisait expliquer par le menu comment rôtir une dinde, ceci afin de complaire à son nouveau mentor, et le recevoir des plus dignement quand on lèverait provisoirement la Grande Passoire.

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Courte chronique du 1er du mois de septembre

Le Sieur Jaifroid de la Face de Pet, obscur gazetier ayant son couvert, son crachoir et son rond de serviette dans tous les salons des Lucarnes Magiques depuis que Notre Cynique Tartuffe lui avait accordé une année auparavant un long entretien, lequel était ensuite paru dans sa gazette répondant au doux nom de « Tares Avariées », ce Sieur de la Face de Pet doncques, enhardi par sa notoriété bien usurpée et l’entregent dont il disposait, produisit un fort médiocre et très puant pamphlet, qu’il camoufla honteusement sous le vocable de « fiction ». Il y prenait pour cible une députée de la Faction des Insoumis, Madame Obonus, que lui et ses semblables, tel le vilain Monsieur Erictus Détritus, honnissaient à cause de la couleur de sa peau. Ce triste et navrant Sieur de la Face de Pet renouait avec une épouvantable tradition qu’on avait hélas vu ressurgir à la faveur de déclarations nauséabondes de nombreux barons et rois, dont le bon Jacquot, et plus près de nous Niko dit les Fadettes, lequel avait tenu dans le royaume du Sénégal un discours des plus rances et des plus navrants. Non content de mettre en scène dans cette honteuse grossièreté Madame Obonus en usant de son prénom, ce triste sire de la Face de Pet la fit représenter sous les traits d’une esclave enchaînée.

La consternation fut générale. On s’empressa de porter soutien à celle qui subissait un outrage des plus odieux. Le Roy en personne, bien qu’il eût pour « Tares Avariées » un penchant des plus avérés décrocha son cornet magique pour susurrer à Madame Obonus son plus amical soutien. Il n’était jusqu’à la Faction des Haineux qui ne se fendît d’une condamnation de la prose puante du Sieur Face de Pet. Ce dernier se défendit lamentablement. Il osa même présenter des excuses. Mais rien n’y fit. Il ne se trouva que Monsieur Erictus Détritus pour lui apporter son soutien. On lui signifia en outre que les salons de la Bonne Fille de son Maître, la Lucarne Magique Officielle de la Starteupenéchionne, se passeraient désormais de ses spirituelles saillies. Quant à Madame Obonus, elle fit savoir fort dignement qu’à travers elle, c’était la vieille République et ses valeurs d’universalisme qui étaient bafouées. Elle n’avait cure des fallacieuses excuses et des navrantes questions des gazetiers. Bon nombre des Riens et des Riennes lui témoignèrent leur sympathie, avec l’espoir qu’elle pût ester en justice et faire condamner ce pitoyable écrivassier pour injures publiques.

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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline.

Chronique du vingtième jour du mois d’août de l’an de disgrâce 20

Où il est question de papouilles et de bisouilles, d’ambitions et de vices.

Le fort de Brigand-çon bruissait de mille préparatifs. On attendait Frau Bertha, la Grande Chambellane de la Germanie, ainsi que sa suite de laquais et de conseillers. Notre Sautillant Jouvenceau s’ébaubissait à l’idée de revoir sa très chère amie qu’il pourrait papouiller et bisouiller à loisir. En public, on affecterait de porter le fameux masque, il fallait bien donner l’exemple à ce vil peuple qui, tout en maugréant, finissait par se soumettre. C’était là une passionnante expérience que de rendre obligatoire – en certains lieux seulement, à certaines heures seulement, les uns et les autres définies on ne savait trop par quel Grand Laquais, obéissant à on ne savait trop quelle règle – cette petite barrière de papier, fabriquée par les petites mains de l’Empire du Ciel, et d’observer comment les Riens et les Riennes se surveillaient mutuellement, chacun devenant le gardien des bonnes pratiques de son voisin. Monsieur Bentham n’eût point renié cette mirobolante idée. La Starteupenéchionne devenait un gigantesque panoptique.

Dans la bonne ville de Massalia, où les mœurs s’étaient considérablement relâchées, on dut cependant dépêcher un corps expéditionnaire de reîtres noirs pour y faire régner l’ordre. Peu importait que dans certains quartiers, on y surinait allègrement, on y détroussait les visiteurs, on y réglait ses comptes violemment, ce qu’il convenait de réprimer était l’absence de masque. A bord des charrettes communes, où la promiscuité continuait d’être la règle, les petits bambins s’effaraient à se voir entourés de tous ces visages à demi effacés. Plus de sourires, plus de rires, seuls demeuraient les yeux. On se jaugeait, on se distanciait. Le petit duc de l’Attelle, qui avait tristement succédé à la bonne duchesse de Sitarte, laquelle ne se pouvait égaler, l’avait prévenu : ce n’était point l’amende ni l’argousin qui vous l’assènerait qu’il fallait redouter, mais les miasmes, ces épouvantables miasmes, qui n’attendaient que le moment propice pour vous assaillir et vous faire passer de vie à trépas. « Tremblez, misérables gueux ! » serinait laborieusement, à qui voulait bien l’écouter, monsieur de l’Attelle, prédisant en même temps qu’on pourrait encore accroître l’amende, qui se montait à la coquette somme de cent trente cinq écus.

Le séjour estival de Sa Tapageuse Suffisance s’était donc déroulé sous les meilleurs auspices. Les deux formidables explosions au Pays du Cèdre avaient fourni un intermède des plus bienvenus. Notre Petit Plagiste, dès son retour, avait pu s’adonner à nouveau à son occupation favorite : tel Neptune, il sillonnait les flots sur un engin pétaradant, créant de formidables gerbes d’écume desquelles il sortait tout auréolé, nimbé d’une gloire quelque peu humide, ce qui lui valait quelques âcres admonestations de la Reine-Qu-On-Sort. En effet, Dame Bireguitte, qui suivait son époux à la trace, sur un fringant voilier, n’admettait point que le Roy dégouttât sur le ponton, que des laquais astiquaient frénétiquement afin qu’elle put s’y mirer et vérifier le résultat des travaux de ravalement dont elle venait de faire le très coûteux objet. Recevoir Frau Bertha serait le point d’orgue de cette villégiature, après quoi – non sans s’être à nouveau adonné au plaisir de quelques frasques nautiques- il faudrait s’en revenir à la capitale, où des affaires fort urgentes attendaient Son Infinie Suffisance. Il serait entre autre chose nécessaire de surveiller les ambitions du petit duc du Dard-Malin, lequel ne se sentait plus de joie d’être Grand Chambellan aux Affaires Domestiques. Cet intrigant, afin de couper court à la calomnie que des fâcheuses s’entêtaient à entretenir, avait proféré une petite phrase destinée à clore le bec de ses détractrices : « la victime, c’est moi », avant que de prendre une pose fort avantageuse et des plus martiales pour accompagner des argousins dans une traque de quelque substance illicite, laquelle se commerçait sous le manteau dans tous les quartiers mal famés du pays. Les gens du duc avaient fait mander les gazetiers, afin qu’ils assistassent à l’édification de la geste de leur maître, qui entendait pourfendre en tout lieu les délinquants, leur promettant de leur faire perdre le sommeil. En terme de perte, ce fut l’orgueil démesuré du duc qui s’en trouva quelque peu moqué. Les argousins et leur chien renifleur ne trouvèrent qu’un maigre petit tas de cette substance assassine. Quant aux terribles revendeurs – quelques jeunes Riens qu’on avait fait se masser afin de montrer l’ampleur de l’opération – ils se montrèrent fort coopératifs. On eût dit qu’ils avaient été recrutés comme figurants. Une Rienne fit ensuite son apparition. Elle devait se répandre en déplorations, afin que le duc pût lui donner la réplique, laquelle était la suivante « j’enverrai une missive au bourgmestre de cette ville dès demain ». La scène fut immortalisée et passa dans les Lucarnes Magiques. Quelques mauvais esprits suggérèrent que monseigneur le duc n’avait point demandé de faveurs en échange des bons offices promis et pour cause : l’essentiel de son temps se passerait désormais en visites aux argousins, ceci afin d’honorer sa promesse faite de façon tout à fait inconsidérée : « tant que ce trafic sera là, je ne m’arrêterai pas de faire la tournée des commissariats ». On était rassuré, d’autant plus que le mignon du Roy avait aussi obtenu qu’on taxât désormais d’une forte amende les contrevenants qui s’adonnaient à l’usage du chanvre. Le trésor de la Starteupenéchionne allait s’en trouver considérablement augmenté.

Le duc avait aussi donné un coup fatal à la vieille République – du moins à ce qu’il en restait, quelques oripeaux bien fripés – puisqu’il avait pompeusement déclaré que c’était la maréchaussée, « les forces légitimes de l’ordre », qui faisaient la loi dans le pays. Le Roy, tout en songeant à refréner les ardeurs de son favori, se disait que le temps était venu de supprimer la Chambre Basse, laquelle était autrefois censée être à l’origine de la dite loi. L’inconvénient était qu’en procédant ainsi, il ferait quelques mécontents et mécontentes. On ne pouvait décemment nommer tous les Dévôts et Dévôtes qui faisaient tapisserie dans les antichambres du palais Grands Commissaires des Canevas et des Plans sur la Comète. Pour l’heure, cette éminente charge, jadis sous la férule du Premier Grand Chambellan, venait d’échoir au fort cacochyme et si complaisant duc du Béarn, dont il fallait bien récompenser l’ardeur à lécher les chausses et le fondement. C’était aussi une bien fort commode manière pour Notre Grand Fraisier d’avoir ce fidèle d’entre les fidèles sous la main.

Le baron du Cachesex avait été quelque peu mortifié que le duc n’eût pas à lui rendre compte de ses agissements mais Sa Hauteur Enneigée entendait tout régenter Elle-même et dieu sait combien de temps eussent duré les conciliabules entre le Béarnais et le Gersois, qui n’avaient rien à s’envier l’un l’autre sur la lenteur de leur diction et leur capacité à pontifier à l’infini. Ainsi en allait-il au royaume du Grand Cul-par-dessus-Tête. Bassesse, médiocrité, veulerie, malhonnêteté, forfanterie, mensonge, prévarication, la liste s’allongeait chaque jour des qualités requises pour être remarqué et honoré par Notre Astre Maléfique. Dans le même temps, les partisanes et partisans de madame Halimus, cette grande défenseuse de la cause des Riennes, cette infatigable combattante éprise de justice et d’égalité, avaient rageusement observé qu’à ses funérailles, dans les premiers jours de ce mois d’août, ni le Chambellan aux Balances, le terrible monsieur Du Pont de Morte Ethique, qui avait pourtant été le confrère de Madame Halimus, ni la fort suffisante baronne du Cachalot, Chambellane aux Affaires de l’Esprit, n’avaient déshonoré de leur présence cet instant de recueillement et de ferveur. Le Vice ne pouvait rendre hommage à la Vertu.

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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline

Une petite chronique…Chronique du huitième jour du mois d’août de l’an de disgrâce 20

Où il est question de prouesses, d’oublis et de folles perspectives…

Les gazettes furent prolifiques. On ne parla pendant deux jours que de Sa Grande Hablerie et de ses prouesses au pays du Cèdre. Ses thuriféraires avaient oublié que lors de son règne avait éclaté dans son propre pays la Grande Gileterie, qui avait été réprimée de si sanglante façon . Ils avaient oublié les quelques mois qui venaient de s’écouler, pendant lesquels la grippe pangoline avait fait mourir des Riens et des Riennes à qui l’on avait recommandé expressément en cas de frissons de rester au logis, et d’y attendre la dernière extrémité. Ils avaient oublié la mauvaise querelle que le Chevalier d’Alanver, Chambellan de la MalPortance, avait intenté au Savant de Marseille, lequel avait usé d’une fort vieille potion couplée à une autre médecine bien éprouvée pour éviter précisément que les atteints par les miasmes n’en vinssent à suffoquer. Ils avaient tout oublié des trois premières années du règne de ce prince qui était passé maître dans l’art de tancer son peuple et de le vilipender, tout en lui faisant les poches, le priant de ne point s’en plaindre et de le révérer. Ils avaient oublié que lors d’une grande explosion dans la bonne ville de Rouen – due à la présence de matières méphitiques comme à Beyrouth, au pays du Cèdre- Notre Saint Sauveur ne s’était point déplacé, craignant les épouvantables suies qui avaient des jours durant noirci le ciel. Or doncques pendant que le Roy s’en était allé faire son Monsieur de Behachelle au milieu des ruines du port de Beyrouth, une chaleur terrible s’abattit sur notre pays. Le Chevalier d’Alanver était encore, malgré ses grandes prouesses, Chambellan de la MalPortance. Il produisit une ferme recommandation : pour éviter d’avoir chaud, il fallait se mettre au frais. On fut abasourdi devant autant de pertinence et d’intelligence. Les Riens et les Riennes qui avaient sottement pensé s’emmitoufler et rester sous le soleil implacable, en restèrent coits. La grande affaire des masques restait toujours d’actualité. Maintenant qu’on en faisait venir par cargaisons incessantes depuis l’empire du Ciel – où les usines tournaient à plein régime – ils étaient en passe de devenir obligatoires en tout lieu. Les tribuns de la Faction des Insoumis avaient fait valoir que ces masques grèvaient considérablement les pauvres ressources des familles et qu’il eût été bon par conséquent de fournir gracieusement ces petites barrières d’étoffe. Notre Généreux Ruissellement s’ opposa fermement à cette proposition saugrenue. Les Riches ne devaient en aucune manière avoir à débourser un liard pour les Pauvres. Toute la morale de Son Implacable Mesquinerie tenait dans cet aphorisme. On apprit dans le même temps que de la Cassette du Château étaient sortis moult et moult écus à fins de régler les frais de justice de quatorze anciens Grands Laquais dont le Cardinal du Gai-Séant, âme damnée et éminence grise du roi Niko, qui avait trempé dans de fort louches affaires.Peu à peu montait dans tout le pays un climat de peur. Les gazetiers affirmaient théâtralement que les miasmes s’apprêtaient à déferler à nouveau. On les avait vus ici, puis là. Il se disait cependant qu’ils n’avaient en réalité jamais complètement disparu. On fit taire les voix discordantes en les accusant d’être des « complotisses ». Telle accusation était destinée à couper court à toute velléité de rébellion. La jeunesse devenant par trop imprudente – s’exposer à visage découvert était la dernière folie- il convenait de produire des chiffres alarmants. Bon nombre de Bourgmestres rendirent obligatoire le port du masque dans les rues de leurs cités. Au fond de leurs chaumines, les maitres des escholes ruminaient. Monseigneur le duc de la Blanche Equerre avait disait-on préparé un nouveau protocole. On en prit connaissance. Le duc avait été visité en songe par Monsieur de la Palice. Il y était en effet écrit ceci : «la distance entre les élèves n’est plus obligatoire quand elle n’est pas possible ». C’était là chose tout à fait renversante. On imposerait à tous sauf aux plus petits des bambins le port du masque. La rentrée serait donc un grand moment carnavalesque. On s’en réjouissait follement.

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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline

Quelques brèves publiées de la plus récente à la plus ancienne…

« Il fallait punir les Massaliotes qui avaient commis deux crimes irréparables : choisir une Jardinière comme Bourgmestresse et aduler le Professeur Klorokine, que l’on appelait aussi le Savant de Marseille ou encore Monsieur House, cet arrogant qui se vantait de traiter les malades de la grippe pangoline à l’aide d’une antique potion dont il fallait dire le plus grand mal si l’on voulait être bien en cour. Les Conseillers du Roy, entraînés par le Chevalier d’Alanver, lequel haïssait le professeur Klorokine, suggérèrent qu’on remît cette ville de renégats et de vauriens sous le régime du Grand Confinement. Madame Rubirolus s’y opposa fermement. Flanquée de la baronne Tine de La Vasse et du Savant Monsieur House, elle fit entendre devant un parterre de gazetiers tout ouïe une parole forte et claire, déplorant que le gouvernement de Notre Petit Démiurge décidât de tout depuis la capitale, au risque de précipiter à la faillite tous les estaminets et les gargottes de la cité. Elle affirma aussi que l’on ne pourrait indéfiniment suppléer aux grands manquements de l’Etat. On crut sur parole Madame Rubirolus. N’était-elle point médicastre elle même ? La bonne ville de Massalia avait désormais son Savant et sa Bonne Maire pour veiller sur elle. »

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 » Le gouvernement de Notre Doucereux Philanthrope rendit obligatoirement payante l’école que Messieurs Ferry et consorts avaient voulue nécessairement gratuite. Les parents des escholiers devraient sur leurs maigres deniers les munir de masques, lesquels étaient devenus, selon le duc de la Blanche Equerre, Grand Chambellan de l’Instruction, des « fournitures » au même titre que les crayons et les trousses. Pour faire taire les protestations, ce fut le baron du Cachesex en personne qui s’en vint dans les salons de la Gazette la Nechionne pontifier sur ce qu’il nomma « la philosophie » de Sa Hauteur Enneigée. Il était inconcevable que l’on pourvût aux besoins de ceux qui n’étaient point des nécessiteux. Quant à ces derniers, il n’en fut jamais question. Ce que l’on ne nommait pas n’existait tout simplement pas. C’était du reste pour cette raison que le Roy avait mandé expressément que l’on parlât en continu de l’épidémie de grippe pangoline. « 

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« Les Riens et les Riennes, sommés par Notre Grand Tout, de porter en toutes occasions la petite barrière de papier ou d’étoffe censée arrêter les miasmes terrifiants, songeaient amèrement à l’époque bénie où l’on se gaussait de Madame de Sitarte, laquelle avait déployé force laborieuses explications pour justifier qu’on n’eût point rendu obligatoire le port de cet accessoire parce qu’on en manquait. A voir comment les unes et les autres usaient maintenant de cette muselière – on la mettait, on l’enlevait en se grattant frénétiquement le nez, on l’enfouissait au fond de la poche, on l’arborait qui au poignet, qui au menton- il apparaissait impitoyablement que la bonne duchesse avait été depuis le début dans la clairvoyance. Les masques ne servaient à rien hormis à vérifier le degré de soumission et à engraisser juteusement les familles du Grand Négoce. »

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 » Les miasmes de la grippe pangoline, qui n’avaient jamais fait leurs bagages, avaient profité de l’été et des retrouvailles familiales pour se trouver de nouveaux hôtes. La chose n’avait rien de surprenant mais le gouvernement de Notre Poudreux Calculateur déclara que la situation était dramatique. Les gazettes firent courir les informations les plus folles. On évoqua le spectre du Grand Confinement. Les masques, ayant longtemps subi l’opprobre des medicastres de salon, lesquels étaient maintenant devenus leurs plus fervents partisans, furent rendus obligatoires par décret dans les bonnes villes de Lutèce et de Massalia. Les grands rassemblements furent proscrits, on en limitait de façon fort drastique la jauge de cinq mille âmes, hormis sur le domaine du marquis Le Joli de la Vile-Raie où se déroulaient depuis le début de l’été de grandes festivités. On y autorisa tout au contraire le dépassement. Le Gouverneur du Roy la fit quasi doubler. Les miasmes circulaient hardiment dans les cours et les jardins du domaine mais on se gardait bien d’y pratiquer le moindre écouvillonage. Le marquis comptait parmi les grands favoris de Sa Fraiseuse Altesse. Nul ne devait lui nuire sous peine de se voir infliger un embastillement en règle.Dans la bonne ville de Massalia, la nouvelle Bourgmestresse, Madame Rubirolus enjoignit la baronne Tine de La Vasse, dont c’était là la prérogative due à sa charge de Présidente de la Métropole, d’augmenter le nombre de carrioles communes, afin que l’on n’eût pas à s’y entasser les uns sur les autres. La baronne, qui n’avait plus toute sa raison depuis sa lourde chute au Tournoi des Bourgmestres, lui répondit fort aigrement que les miasmes ne prenaient jamais les carrioles communes. Le Grand Gouverneur, représentant le Roy, fit savoir à la baronne qu’elle déraisonnait et qu’il lui faudrait sans tarder se purger avec quatre grains d’héllébore. Ainsi en allait-il au Royaume du Grand Cul-par-dessus-Tête, en ce seizième jour du mois d’août. »

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La petite marquise de Pompaguili, Grande Jardinière de la Starteupenéchionne, avala ses premières couleuvres. Ayant de façon fort inconsidérée voulu faire interdire un poison qui tuait les abeilles, elle se trouva incontinent sommée de surseoir à cette décision par Sa Turpide Connivence en personne, Laquelle avait entendu la plainte de ses bons fermiers planteurs de betteraves. La marquise – qui avait été choisie par Notre Poudreux Bibelot pour sa docilité et la grandeur de son gosier -, s’exécuta.

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Pendant que Monsieur de Behachelle, Grand-Duc de la Tartalakreme, félicitait grandement Notre Médiocre Plagiaire de s’être inspiré de sa sublime personne, le Chevalier d’Alanver continuait d’abreuver la populace de ses vertueux préceptes. Comme il était bien connu que les Riens et les Riennes étaient tous de fieffés buveurs de vin et autres spiritueux, et qu’en sus ils étaient illettrés, le Chevalier s’imagina que le conseil «hydratez-vous » serait immédiatement suivi sous forme de libations et autres agapes. Ce bon docteur remporta le prix de la Périssologie en intimant aux vils sujets de Sa Bougeotteuse Altesse de « s’hydrater avec de l’eau » .

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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline.

Chronique du quatrième du mois d’août de l’an de disgrâce 20

Où il est question de frugalité, de dards en tout genre et de larmes…

Le Roy avait pris ses quartiers d’été en sa Forteresse de Brigandçon, sur les riantes rives de la mer Méditerranée. Depuis l’avènement de Sa Coûteuse Bimbeloterie, les lieux avaient été dûment rafraîchis et restaurés, dans ce goût fort clinquant qu’affectionnait Dame Bireguitte, la Reine-Qu-On-Sort, pour qui rien n’était jamais trop dispendieux, à condition que ce fût de la Cassette de la Starteupenéchionne que sortissent les écus. On avait ainsi fait construire un bassin où Nos Pipolesques Altesses pussent tremper leurs augustes fondements, ainsi que toutes sortes d’attractions mirifiques afin que les petits-enfants de la Reine, qui étaient non point ceux du Roy, mais les descendants des fils et filles que Dame Bireguitte avait eus d’un premier lit, ne trouvassent point les journées trop longues. On mit tout le petit monde des gazetiers en émoi en orchestrant une dînette dans une modeste gargote, celle-là même où l’on s’était déjà rendu l’été précédent. Les gens du Roy assurèrent les gazetiers qu’il s’agissait de se sustenter dans la plus grande frugalité. Il fallait « faire peuple » et montrer que Notre Sublime Nicodème savait s’abaisser aux goûts rustiques et vulgaires. On s’y rendit masqué et l’on se prêta avec force complaisance au traditionnel bain de foule, fort bien organisé comme de coutume. Les tenanciers de la gargote ne se sentaient plus d’aise de se faire immortaliser aux côtés du couple princier. C’était là entrer dans l’Histoire et la postérité. Les gazetiers locaux potinèrent à loisir sur la vêture de Notre Poudreux Dandy – un blanc pourpoint lui dessinait délicatement le torse – et celle fort martiale de Dame Bireguitte, sanglée dans une redingote vert caca d’oie.

Le Roy, qui entendait consacrer la fin de son règne à la réconciliation du pays – laquelle eût tenu du même miracle que celui qu’on espérait voir accomplir par la bonne duchesse de Sitarte à la recherche des « talents » pour former la future garde prétorienne – attendait la visite sous peu de celui qui avait su conquérir une place de choix dans son cœur, l’ancien roi Niko dit le Tant-Péteux. Les journées s’écoulaient, douces et ensoleillées. Rien ne pouvait en troubler la quiétude. Les Riens et les Riennes apprirent par une gazette de la Belgique que l’ancien favori de Sa Turgescente Phallocratie, le petit duc de Grivois, qui avait été surpris en pleine frasque astiquatoire et avait du renoncer à concourir au Tournoi des Bourgmestres, était revenu bien vite en grâces. On lui avait tout d’abord confié une mission sur l’industrie de la défense de la Starteupenéchionne. Les talents du petit duc, lequel n’avait pas son pareil pour évaluer la longueur d’un dard, avaient ainsi trouvé à s’employer. Le baron du Cachesex- devenu le meilleur remède en vogue chez les insomniaques, écouter un de ses soporeux discours vous expédiait en quelques minutes dans les bras de Morphée – venait de lui trouver une autre fort belle occupation : s’assurer que toute la jeunesse du pays eût de quoi se sustenter sainement. C’était là chose fort louable, mais on peinait à comprendre de quelle manière Monsieur de Grivois userait de sa hallebarde pour mener à bien cette mission.

La gazette de Monsieur Plénus Mustachus continuait de s’en prendre aux basques du nouveau favori de Notre Délicat Bisouilleur, Monseigneur le duc du Dard-Malin. Des gazetiers qui n’avaient jamais connu les gamelles bien remplies de croquettes enquêtèrent, tels de redoutables limiers. Il apparaissait que le duc aimait à monnayer ses bons services contre quelques gâteries d’alcôve. Mais il ne faisait pas bon s’attaquer au Mignon du Roy. Une pauvre Rienne, habitante de la bonne ville dont le duc était Bourgmestre, réduite par ce dernier aux dernières extrémités afin qu’il daignât user de son entregent pour lui trouver un logis, tenta bien follement de demander justice pour son honneur piétiné. Las ! Les juges classèrent l’affaire. Une autre affaire du même acabit était encore pendante, mais on imaginait fort bien ce qu’il en adviendrait. Le duc du Dard-Malin se pavanait, sûr de ses appuis. Il s’en fut de l’autre côté des Alpes, dans le royaume de l’Italie, afin d’y pérorer au sujet des pauvres hères qui s’entêtaient à franchir la Méditerranée et qu’il fallait à tout prix bouter hors de l’Europe. Tout à l’édification de sa geste, le duc, dont il ne faisait point mystère qu’il se rêvait sur le trône, alla se faire bénir par le Grand Ensoutané auquel il affirma pieusement que son seul souci était de « protéger tous les croyants ». Des mécréants, il n’en avait cure. Le duc entendait poursuivre l’œuvre de son parrain, le roi Niko, et restaurer pleinement la monarchie de droit divin.

Il s’était tramé pendant ce temps, en Starteupenéchionne, un drame des plus déchirants. La petite duchesse de la Gerbe était au désespoir. Cette courtisane fort en vue, qui s’était fait une spécialité de se répandre en jérémiades dans tous les salons, avait fondu en larmes à la lecture des noms des Chambellans du nouveau gouvernement. On l’avait vue se précipiter dans les jardins de l’hôtel de Matignon, pour y pleurer tout son saoul. Elle en était revenue les yeux rougis, répétant sans cesse qu’elle avait fait don de sa personne à la Faction de la Marche, qu’elle s’était mise toute entière au service de Sa Méchante Ingratitude. « C’est vraiment trop injuste » pleurait la pauvrette. Il se murmurait qu’elle avait été écartée par la baronne du Cachalot, qu’elle avait l’heur d’indisposer au plus haut point. Il n’était jusqu’à Notre Insensible Bonimenteur qui ne jugeât tout à fait insignifiante celle qui s’était empressée de venir se prosterner devant lui, dès lors qu’il avait remporté le Tournoi. Cette allégeance fut bien mal récompensée. Nul petit maroquin, nulle petite charge, nulle petite place de Sous-Laquais, madame de la Gerbe avait été écartée de tout. Elle décida alors vaillamment de se porter candidate au Tournoi de la Faction, au cours duquel serait choisi celui à qui reviendrait l’insigne honneur de diriger la cohorte des Dévôts à la Chambre Basse, après la défection en rase campagne de Monsieur d’Amonbeaufisse. La succession n’était point une mince affaire, pas plus que la concurrence. La petite duchesse de la Gerbe serait en effet opposée au duc de Gazetamère, dont on pensait qu’il était allé se terrer dans quelque bouge de la bonne ville de Massalia, ainsi qu’au marquis de Ruge-Eat, l’ancien Grand Jardinier, qu’un train de vie fort dispendieux aux frais des Riens et des Riennes, et un goût immodéré pour les crustacés avaient contraint à la démission à la fin de la deuxième année du règne de Notre Très-Détesté Souverain. La petite duchesse de la Gerbe menait une campagne effrénée : elle réagissait à tout, en produisant entre autres cuicuis un mielleux panégyrique à l’égard du duc de Dard-Malin, dont elle flattait à outrance l’innocence, faisant ainsi passer toutes ses sœurs du beau sexe pour de fieffées menteuses. On était ébaubi de tant de sottise et de basse ambition, vertus que la Starteupenéchionne et son Prince prisaient au plus haut point, encore que la sottise s’appréciait beaucoup plus dès lors qu’elle émanait d’un homme, ou de l’énergique duchesse de Sitarte. Madame de la Gerbe avait beau s’égosiller, elle n’avait jamais eu les faveurs du Roy. C’était là son drame.

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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline.

Chronique du vingt quatrième jour de juillet de l’an de disgrâce 20

Où il est question de virilité, de gloire (en carton-pâte) et d’un grand dessein.

Le favori du Roy, le duc du Dard-Malin, continuait d’être l’objet de toutes les critiques, bien qu’il eût reçu de la part de ses pairs les plus vibrants hommages. Ainsi en fut-il de Monsieur Du Pont de Morte-Ethique en personne, Grand Chambellan aux Balances, qui produisit, devant les vieilles badernes de la Chambre Haute – lesquelles s’étaient vertueusement appliquées à le mettre à la question -, de bien brouillonnes élucubrations, indignes de l’avocat qu’il était. Le nouveau Garde des Sceaux feignait de continuer de penser que le duc était innocent des charges qui pesaient sur lui. Or il apparaissait que le duc avait bel et bien fauté. Mais l’impudent s’en enorgueillissait. « C’est vrai, j’ai eu une vie de jeune homme » plastronnait-il dans les salons, avant que de déplorer qu’on eût lancé contre lui une « chasse à l’homme ». On était prié tout au contraire de s’ébaubir devant sa bonne santé. Que lui reprochait-on, sinon que d’avoir commis la charmante vétille de céder à un débordement de virilité, laquelle était vertu si grandement appréciée par Sa Sautillante Gourmandise ? Rien ne pouvait arriver à son favori. Perdre monsieur de Grivoit avait été un crève-coeur. Monsieur du Dard-Malin le remplaçait avantageusement. Et peu importait que fut en charge des Affaires Domestiques et de la conduite des argousins un homme qui avait monnayé ses bons services contre des faveurs d’alcôve. Monsieur de Laclos, qui avait en son temps pris la cause des femmes pour sérieuse, eût pu témoigner au procès du duc  que« la femme [cédait] sans consentir », mais la Justice de notre piteuse époque en avait décidé tout autrement, blanchissant dans un premier temps le favori du Roy, estimant que le malheureux n’avait pas eu conscience d’imposer la force de son sexe à une Rienne qu’on s’était empressé de décrire comme friponne et volage.

Des siècles de lutte pour l’émancipation des femmes étaient ainsi foulés au pied. Le Grand Chambellan aux Balances lui-même ne venait-il point de se prétendre « féministe », lui qu’on avait entendu se répandre en âcres jérémiades contre le fait qu’on ne pouvait plus faire connaître à une Rienne – quand on était un homme plein de virilité – son admiration en la sifflant copieusement ? Non content de cela, et pour prouver ses dires, Monsieur Du Pont de Morte Ethique s’était aussi empressé de contredire le nombre d’outrages subis par les Riennes. Tout ceci lui paraissait fort exagéré. « Comment peut-on savoir qu’un viol a été perpétré s’il n’y a pas de plainte ? » s’interrogea donc ce grand féministe, avant que d’admettre qu’il était allé un peu vite en besogne en questionnant les chiffres. Il feignait de découvrir le désastre, trouvant cela « effrayant ». Ce qui l’était tout autant était que Notre Suprême Phallocrate eût confié les Balances de la Justice à un tel homme. On était bien au royaume du Grand Cul-par-dessus-Tête.

Sa Vaniteuse Suffisance se reposait sur les lauriers que n’avaient manqué de Lui tresser les gazetiers-nourris-aux-croquettes après ce qui s’était passé à Bruxelles. On ne savait trop comment ces laquais avaient transformé l’eau en vin, la souris en montagne, les scories en acier poli – était- ce l’abus de la dive bouteille ou d’autres substances ? – mais ils furent ardents à la tâche et leurs gamelles se remplirent dûment après qu’ils eurent œuvré à l’édification de la geste de Notre Glorieux Monarc. L’événement avait été annoncé à grands renforts de superlatifs. Le terme « historique » était chéri des plumitifs dès lors qu’ils avaient à encenser le Roy, lequel s’était donc transporté dans la capitale de l’Europe pour y parler finances avec ses pairs. Sa Mignardeuse Altesse s’était auparavant entretenue avec Frau Bertha. Après forces papouilles et autres privautés, on s’était mis d’accord sur ce qu’il faudrait imposer aux autres, afin de remettre en état le négoce et les affaires, lesquels se portaient au plus mal depuis le Grand Confinement et le déferlement de la grippe pangoline. Las ! Les souverains du Nord ne l’entendirent point comme prévu. Les palabres durèrent quatre longs jours. Notre Jouvenceau Masqué eut beau frapper de ses petits poings sur la table, il fallut céder aux « Frugaux », ces souverains qui résistaient au nom de la Très Sainte Austérité. Les peuples et leurs besoins furent sacrifiés, ainsi que notre mère à tous, la Terre. On décida de continuer à produire de la dette, là où il eût fallu tout geler et recommencer. Chacun s’en retourna chez lui, fier de ce qui avait été obtenu. Les gazetiers se mirent à l’œuvre, et Sa Navrante Pantalonnade en sortit toute auréolée d’une gloire en carton-pâte, sa couronne de lauriers ne faisant illusion que dans les salons.

A la Chambre Basse, le fort servile baron du Truant, chef de la maffia bretonne, se fit le chantre des exploits de son bien-aimé Suzerain. Il le fit ovationner en clamant que c’était là un accord « historique ». Le baron avait été dûment chapitré et on lui avait fait lire les gazettes trois fois plutôt qu’une. Mais Gracchus Melenchonus sonna la charge : « C’est un mensonge, nous nous sommes faits plumer ! Nous sommes les dindons de la farce ». Ce bouillant tribun n’avait pas pour habitude de mâcher ses mots. Il récusa tout autant l’appellation de « Frugaux » dont les gazetiers avaient affublé les pays gardiens de la Très Sainte Austérité. Il leur préférait « radins » et « voyous », mots fort crus qui rendaient bien meilleur compte selon lui de la vérité. Dans les chaumines, où l’on n’avait une bien piètre opinion de l’Europe et de Notre Béat Idolâtre, on serrait les dents en attendant le pire, qui ne manquerait pas d’arriver dès que les beaux jours de l’été se transformeraient en grisaille.

Par bonheur, une distraction survint : un de ces gazetiers gavés d’honneurs et de croquettes, un certain monsieur du Jolifrein, se crut soudain investi d’une mission divine. Tel Jehanne la petite bergère de Domrémy, Saint-Capital et Sainte Phynance lui apparurent en songe pour lui intimer l’ordre de bouter hors du royaume Sa Grande Usurpation – qu’il avait pourtant servie avec un zèle sans pareil – et de restaurer sur le trône le bon Roy Françoué. Monsieur du Jolifrein se mit aussitôt en tête de lever une armée afin de courir sus à l’ennemi. « Engageons-nous », telle était le nom de cette armée qui se vit aussitôt grosse de deux mille volontaires, lesquels se tenaient vaillamment derrière leurs petites lucarnes magiques. On tremblait du bruit que feraient ces soldats lorsqu’ils déferleraient sur les rues et les boulevards de la Starteupenéchionne. Monsieur du Jolifrein escomptait bien débaucher le vicomte de la Jade d’Eau comme Grand Connétable. Un gazetier fort sot lui demanda ce qu’il pensait des Insoumis. « Ce n’est pas mes idées » lui fut-il répliqué, « mais il ont droit d’exister ». On fut abasourdi d’une telle mansuétude et d’une telle magnanimité, lesquelles laissaient augurer assurément d’un grand destin.

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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de l’épidémie de grippe pangoline.

Chronique du sixième jour du mois de juillet de l’an de disgrâce 20

Où il est question de folles supputations, de départs déchirants et d’arrivées fracassantes.

Pendant que dans l’antique cité de Massalia naissait une bonne Maïre, et que la baronne de la Galinette Centrée, ayant tant intrigué, obtenait satisfaction quasi absolue de ses oukases, au Château, le nouveau Premier Grand Chambellan se pliait en huit pour satisfaire toutes les désirs de Sa Capricieuse Petitesse. Le roi Niko avait assuré que ce baron de Cachesex serait le plus fidèle et le plus zélé des serviteurs. On pouvait tout lui demander. Il n’avait aucun état d’âme, il n’avait d’ailleurs pas d’âme du tout. Toute la journée de ce sixième jour de juillet, les couloirs des Lucarnes Magiques et les bureaux des gazettes bruissèrent des supputations les plus folles. Dans le même temps qu’il consultait les impétrants et les impétrantes – lesquels n’étaient point si nombreux – , le baron s’en était allé visiter des argousins qu’il avait tenu à rassurer sur la suite des événements. Il n’eut en revanche pas un mot pour les médecins, les nurses et les garde malades, hormis pour faire remarquer perfidement que les palabres de l’hôtel de Ségur n’avaient que trop duré et qu’il était grand temps d’en finir.

Ce fut enfin le soir. Le baron était arrivé au Château sur le coup des six heures. Les hérauts du palais annoncèrent que la composition du nouveau gouvernement serait connue à sept heures. Le suspense était à son comble. Puis ce fut la consternation. Madame de Sitarte avait purement et simplement disparu ! En lieu et place de notre bonne duchesse, toujours prête à régaler son auditoire de ses spirituelles saillies, on trouva le petit duc de l’Attelle, cet intrigant qui était passé de la Faction de la Rose à celle de la Marche. Pareil sens de la trahison n’augurait rien de bon, mais sans doute monsieur de l’Attelle rappelait-il à Notre Sentimental Jouvenceau son bon Grivois, lequel ne s’était jamais remis de ses frasques astiquatoires et avait sombré corps et biens. On argua pour justifier du départ de Madame de Sitarte qu’elle était requise par quelque sombre affaire domestique. Le Roy avait aussi exigé que son fidèle d’entre les fidèles, son cher Rantanplan, alias monseigneur le duc de Gazetamère, fît ses malles de ses appartements de l’hôtel Beauvau. Sa Sèche Ingratitude n’avait point encore décidé où l’on recaserait celui dont la tête ornait toutes les salles de repos des argousins, criblée de fléchettes, ou que l’on retrouvait encore dans les vestiaires sous forme de figurine transpercée d’épingles. Le baron de Cachesex avait suggéré à Notre Sanglant Equarisseur de procéder à un échange avec monseigneur le duc de la Blanche Equerre. Mis à la tête de la Chancellerie de l’Instruction, qu’eût-il pu faire de pire que son compère ? Las ! Le Roy voulut punir les maitres des escholes qui lui avaient par trop échauffé la bile et la cervelle. Monseigneur de la Blanche Equerre fut donc conforté dans sa charge de destruction de l’école de la vieille république, et on lui adjoignit aussi la Chancellerie de la Gymnastique. La marquise de la Marchéanou fut ainsi placée sous l’implacable férule de l’ancien Grand Inquisiteur Rectal.

Le duc de Gazetamère remâchait sa bile mais il se consolait en songeant que la marquise de la Belle-Loupée avait subi le même sort que lui. L’annonce du nom du nouveau Chambellan aux Balances fit l’effet d’une bombe chez les magistrats. Il fallut envoyer en grande diligence des médecins pour les faire revenir à la vie. Celui qui allait devenir le Garde des Sceaux n’était autre que le très éructant et brutal monsieur Du Pont Morte-Ethique, un avocat vénal et sulfureux, qui entre deux procès retentissants et lucratifs, ne voyait nulle gêne à se faire bateleur, histrion ou chroniqueur sur une Lucarne Magique, pourvu que l’on parlât de lui. Il n’hésitait jamais à brutaliser les témoins dans les prétoires, il vomissait la vertu, lui préférant le vice et vouait les magistrats aux gémonies. Ceux des Riens qui importunaient les femmes ou pire qui les outrageaient le trouvaient toujours prêt à les défendre. Il clamait à qui voulait l’entendre qu’il eût défendu avec ardeur le très cher modèle de Notre Petit Imitateur, le bon maréchal Pétain. Lorsque le nom du successeur du duc de Gazetamère fut connu – c’était le duc du Dard-Malin – d’aucuns murmurèrent que l’affaire de moeurs qui entachait la réputation du duc serait bien vite enterrée. On le rendrait blanc comme neige et la pauvre Rienne qui avait osé ester en justice en serait bien marrie. Le nouveau Chambellan aux Balances était aussi aux premières loges pour faire cesser les ennuis contre son client le roi Niko, dont il était de plus en plus évident qu’il avait pris la main sur tout ce qui se passait au Château. Le mélange des genres était des plus ahurissants. C’était tout bonnement inouï.

Un autre remplacement fit aussi couler beaucoup de salive chez les gens d’esprit : le chevalier des Rillettes fut prié de s’en retourner s’occuper du négoce – après tout c’était là sa partie – pour laisser la place à la baronne du Cachalot en personne, qui faisait là un retour remarqué dans les allées du pouvoir. Cette diva des Lucarnes Magiques se piquait d’une passion dévorante pour l’art lyrique et pour Monsieur Verdi en particulier. Ce fut chose suffisante pour lui confier le soin d’administrer les choses de l’esprit dans le royaume, lesquelles devenaient aussi importantes que le négoce et le jardinage. On chanterait désormais quatre fois par jour dans toutes les escholes et les administrations en l’honneur du Roy. Madame du Cachalot, qui avait juré ses grands dieux qu’on ne l’y reverrait plus, exultait. C’était la consécration.

Pour faire bonne mesure, on mit aussi la couleur verte à l’honneur en la personne de la très fade et sirupeuse petite duchesse de la Pompaguili, qui devint ainsi la Grande Jardinière de la Starteupenéchionne. Qu’elle ne sût point planter un malheureux poireau et qu’elle n’eût à son actif en vérité que d’avoir permis la construction d’épouvantables édifices où y parquer les charrettes et les carrosses, au détriment des pâturages et des forêts, ne dérangea point le baron de Cachesex. Tout au contraire. Sa Grande Menterie avait été intraitable : le vert était certes un bel effet de mode, mais il ne fallait point en abuser. Cette petite duchesse – qui se retrouvait au deuxième rang selon le protocole, juste derrière le Premier Grand Chambellan, était la docilité même. Elle n’avait point d’idées à elle.

La duchesse des Charentaises et du Poitoutou avait bien cru son heure à nouveau arrivée. Elle s’était vantée sur toutes les Lucarnes Magiques d’avoir été approchée par des émissaires du Roy, au moyen du cornet magique. Las ! Le Château opposa un démenti aux allégations fantaisistes de cette pauvre duchesse, qui eût tout accepté, même le plus petit cabinet . Il s’avéra que madame du Poitoutou avait été le jouet de mauvais plaisantins du royaume voisin de la Belgique. On se gaussa sans retenue.

La Grande Réinvention pouvait donc débuter. Des gazetiers de la Virgule révélèrent que le comte de la Carpette, un aventurier notoire, qui avait trempé dans moult affaires, lesquelles avaient coûté des montagnes d’écus aux Riens et aux Riennes, s’était mis en tête quelques mois auparavant de donner des conseils à Notre Fieffé Apprenti. « Votre problème, ce n’est pas l’impopularité » avait-il susurré à l’oreille royale, c’est que les gens ont envie de vous tuer ». Sa Douillette Tremblote en était restée coite. Ce qu’on disait était donc vrai ! Et qu’arriverait-il si ces maudits argousins que cet imbécile de Rantanplan n’avait eu de cesse d’irriter, croyant les cajoler, se mettaient en tête de rester les bras croisés ?  Monsieur de la Carpette avait ensuite fort magnanimement indiqué le chemin à suivre : il fallait renouveler les Chambellans. « Vous vous ressemblez tous là-dedans ! Il faut que vous ayez autour de vous des mecs avec des costumes froissés ! ». Tels avaient été les truculents propos du comte, dans ce franc parler qui n’était pas sans rappeler au Roy son bouffon, monsieur la Bidoche. Du reste, n’eût-il point fallu faire appel à ce dernier ? Il n’y avait que peu de nouveaux et nouvelles venues dans ce gouvernement de l’acte Deux et ils étaient tous impeccablement vêtus, à l’exception notoire de monsieur Du Pont Morte-Ethique. Par bonheur, le baron du Cachesex avait suivi en tout point les préconisations du roi Nico et avait su attirer cet orateur terribleà la mise quelque peu dépenaillée. Notre Pusillanime Bibelot pouvait désormais dormir tranquille.

Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne, à l’aube de cette ère nouvelle qui voyait mises à l’honneur les vertus cardinales si chères au cœur du Roy : la bassesse, la médiocrité et l’infatuation y brillaient d’ un éclat encore jamais atteint.