Poster un commentaire

Chronique du règne de Manu 1er l’Infaillible

Chronique du dixième jour du mois de mars en l’an de disgrâce 21

Où il est question d’occupation, de doléances et de fiel

Sous la houlette d’une Guilde, les saltimbanques – qui crevaient de ne plus pouvoir exercer leur art – envahirent les théâtres. A Lutèce puis dans les bonnes villes de Toulouse et de Strasbourg, il en alla de même. Le Roy était fort marri de cela. Qu’allait-il donc se tramer dans ces lieux si les comédiens, les actrices, et leurs comparses – que l’on avait bien commodément fait taire en octroyant aux plus en vue d’entre eux de copieux subsides quand les autres, celles et ceux d’en bas, en étaient réduits à une quasi mendicité – se mettaient à parler comme ces maudits Engiletés ? Notre Délicat Hippocrate – dont ces fâcheux troublaient la quiétude – dépêcha sur place Madame la baronne du Cachalot. On la croyait disparue corps et biens, elle réapparut, toutes voiles dehors.

La baronne était fort embarrassée. Elle avait bien mieux à faire que d’aller écouter les âcres récriminations de ces fâcheux qu’elle faisait pourtant mine de cajôler depuis le Roy l’avait distinguée en la faisant Chambellane aux affaires de l’art et de l’esprit. Elle médita un temps d’affamer ces coquins mais fort marrie de ce que Sa Tyrannique Suffisance exigeât qu’elle se mît en besogne pour étouffer la révolte, elle dut se résoudre à une fort tardive visite. A l’Odéon, lieu d’où était partie la révolte, certains imaginèrent en retour la ficeler et la rôtir. La baronne étant grassement nourrie – contrairement à celles et ceux qui n’avait plus un liard pour subsister – elle eût suffi à sustenter toute la troupe des occupants pour le souper. On y renonça.

Les cahiers de doléance furent établis et l’on chargea madame du Cachalot – ainsi épargnée de finir comme la dinde de la farce – de les porter devant le Roy. Sitôt sortie, la baronne fit savoir tout le dégoût que lui causaient ces saltimbanques qui avaient le toupet de réclamer des subsides non seulement pour eux mais pour tous les fainéants et les traine-misère qui ne trouvaient plus à s’employer que de manière discontinue, au bon vouloir des patrons et des maitres des forges. L’envahissement des théâtres était selon ses dires « inutile et dangereuse ». On lui renvoya le compliment.

Au Château, Notre Grandiloquent Bibelot avait ordonné que l’on préparât les salons d’apparat afin d’y recevoir en grande pompe deux bouffons auxquels il venait d’enjoindre de jouer une saynète afin de rappeler à la jeunesse du pays qu’il ne fallait point se papouiller, se bisouiller et se turlutter à moins de se trouver à une toise de distance. Les bouffons, bouffis d’orgueil, relevèrent le gant. Ils ne se sentaient plus d’aise de se retrouver à tu et à toi avec Sa Jaspineuse Toquade. On ne manquerait point de leur demander comment il siérait que le Roy rendît hommage à l’un de ses grands prédécesseurs, Naboléon 1er. Cet auguste personnage inspirait fort Notre Petit Monarc qui se postait chaque jour de profil près du buste impérial. Il prenait la pose. Il s’enflait, s’arrondissait, se rengorgeait, bombait le torse et arquait le nez, sentant poindre le sacre. « Sire, vous y êtes presque, que Votre Majesté continue dans cette voie ! » susurraient mielleusement les Conseillers.

Dans le camp de la Sénestre – la véritable – on se préparait à commémorer le souvenir de la Commune. Las ! Monsieur Thiers et les Versaillais avaient fait des petits, lesquels entendaient bien que l’on continuât d’écrabouiller et de vilipender ces égorgeurs et ces pilleurs. Ils allèrent se répandre d’importance dans les salons de la Lucarne Magique du baron du Pot-Doré, à l’hôtel de Séniouze, où les Haineux avaient table ouverte du matin jusques au soir. On déversa des flots de bile noire sur ceux qui n’avaient eu que le tort de vouloir « escalader le ciel » parce qu’animés de justice et d’égalité, ces valeurs qui étaient devenues des insignifiances en Startupenéchionne. On mit madame la baronne de l’Ide-Aligot en garde. Accepter que des honneurs fussent rendus à ces gueux – que monsieur Thiers avait eu la belle idée de faire massacrer – équivalait à donner un blanc-seing aux Engiletés et à ces fâcheux Insoumis, maudits rejetons des Communards.

La baronne, qui entendait jouer sa partition – bien qu’elle jouât épouvantablement faux – dans le camp de la Sénestre, était bien embarrassée. Elle se contenta de se récrier contre les reitres noirs du Sieur Teutonic, le Grand Bailli de la place de Lutèce, pour avoir fait évacuer les quais de la Seyne emplis d’une foule joyeuse qui avait – le temps de quelques rayons de soleil – tenté d’oublier que le pays était muselé. S’entasser à des milliers dans des charrettes communes pour aller au labeur était chose permise, sourire au soleil était formellement prescrit. Le Chevalier d’Alanver avait fort pompeusement énoncé – le visage à découvert et le verbe fort haut comme à son accoutumée – que le port du masque était « indispensable partout où il est décidé qu’il est, même en extérieur sur une plage parce que sinon on oublie de le porter, plus on le porte, mieux c’est. »

On était au pays du Grand Cul par dessus Tête.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :