Chronique du vingt troisième jour du mois de janvier de l’an de disgrâce 21
Où il est question de jongleries mathématiques, d’un Grand Chambellan fort exaspérant et de l’ombre d’une certaine machine…
Le Roy abhorrait le peuple. Il n’avait jamais manqué au long de ses bientôt quatre ans de règne de pourfendre les nombreux vices des Riens et des Riennes. Tout y était passé, il y avait tant à médire ! Notre Petit Capet choisit la date fatidique du vingt et un janvier pour passer une nouvelle fois à l’offensive. Alors doncques qu’il s’était transporté avec sa suite dans une Université, afin de délivrer sa bonne parole – assortie d’ une maigre obole – à tous les pauvres estudiants qui se mouraient de faim et de solitude dans leurs soupentes, le Roy usa du « Nous » en lieu et place du « Vous » pour pourfendre la « nation des soixante six millions de procureurs ». L’ingratitude était un poison amer dont Sa Doucereuse Malveillance n’entendait plus avaler une goutte. Cette nouvelle estocade contre la populace fit grand bruit. Les gazetiers nourris-aux-croquettes, jusque là si enclins à encenser le moindre pet de Notre Céleste Bibelot, en restèrent cois. A l’instar de monsieur de la Faribole, qui avait son couvert dans les salons les plus en vue, on fit les comptes. Le Roy ne comptait-il donc plus aucun Dévôt, aucun partisan hormis les bambins encore dans les langes .Du côté des Riens et des Riennes, dont l’humeur était chaque jour de plus en plus maussade, on se sentit aussitôt l’âme d’un Conventionnel, et l’envie de raccourcir un certain chef commença d’en démanger plus d’un et plus d’une. La date était on ne peut mieux choisie.
Tout ceci était la faute du baron du Cachesex. Le Roy ne l’avait-il point choisi au détriment des Dévôts de sa Faction, pour remplacer avantageusement monsieur du Havre, mieux connu sous le nom du Grand Mité ? Ce baron du Cachesex, à la laborieuse faconde – tout empreinte d’une horripilante fausse bonhommie – avait été préféré en raison précisément de ces tares, lesquelles étaient censées complaire au peuple, afin de le rassurer et de le tancer tel un petit enfant geignard. Notre Capricieux Jupitou entendait ainsi s’assurer de rester immaculé sur son Olympe d’où il ne redescendrait que pour le Tournoi. Las ! Voilà que loin d’attirer sur sa seule personne les foudres de la populace, le baron, par son impéritie, les suscitait au centuple. Pire ! Tous ces orages retombaient sur Sa Grandeur Dépitée qui se sentait venir des prurits du côté du col. Et pour comble de malheur pour le Roy, voilà que cet incapable de baron s’en était allé se plaindre au Grand Mité.
Son Infaillible Suffisance ne tolérait point que la Grande Croisade de la Sainte-Vaccine avançât si péniblement. La glorieuse Starteupenéchionne était à la traîne. De tous les coins du pays ne parvenaient que des jérémiades. On manquait ici de fioles du précieux antidote, là c’étaient les seringues qui n’avaient point les bonnes dimensions. Les officines privées chargées de répartir les postulants – dont on avait en catastrophe du réduire le nombre tant on manquait de fioles – étaient débordées et il fallait attendre de longues semaines avant de pouvoir prétendre à se voir administrer la sainte onction. Et quand enfin on disposait de tout, c’étaient les volontaires qui faisaient défaut. Comble de malheur, les Chambellans – dont le jeune et fringant duc de la Jeumebarre – fâchés de ne plus avoir à se mêler de rien, parlaient de tout à tort et à travers. Le Roy entra dans une grande fureur. Seuls le Chevalier d’Alanver, la duchesse du Panier Ruché et le petit duc de l’Attelle conservèrent leur droit de parole. Les autres furent priés de se taire, faute de quoi ils seraient démis de leurs charges. Gode-Froid-Bouillant d’Alanver, fort de la confiance que lui accordait son Suzerain, plastronna fièrement dans le salon d’une Lucarne Magique que d’ici l’été « soixante dix millions de personnes » auraient reçu l’onction de la Sainte-Vaccine. Personne parmi les gazetiers ne songea dans l’instant à lui rappeler que la Starteupenéchionne ne comptait que quelques soixante six millions d’âmes. Le Chevalier escomptait-il que les confinements et le couvre-feu fussent la cause d’une épidémie de naissances ? Pour ajouter à la confusion mathématique, on apprit que le matin même devant les Vénérables Patriarches de la Chambre Haute, il avait fait pareille annonce mais avec des chiffres divisés par quatre. Le Chevalier ne se contentait pas d’être le Grand Sophiste de la Starteupenéchionne, il en était aussi le Prodigieux Calculateur.
Monsieur Saint-Martin de la Quiche emporta le concours de la Litote de la Semaine ainsi que celui de la Servilité – titre pour lequel il était fort bien outillé- en assurant qu’il n’y avait « point de pénurie » des fioles d’antidote, mais que celles-ci étaient tout bonnement « en nombre insuffisant ». La comédie des masques, qui se jouait toujours, s’enrichit d’un nouvel acte brillamment écrit sous la plume du Chevalier d’Alanver : il était désormais proscrit d’user des masques « maison », hormis précisément au logis. Partout ailleurs, un édit proclamerait qu’il serait obligatoire de porter un masque dûment estampillé, ce qui irait remplir fort avantageusement les cassettes des maisons de négoce et de fabrication. L’usage de la parole serait également proscrit dans les carrioles communes. Les Riens et les Riennes étaient non seulement condamnés à être masqués, mais aussi – et surtout – à être muselés. Ainsi le Roy, qui décidait de tout mais n’était responsable de rien, encore moins de l’incroyable impéritie qui sévissait dans tout le pays – en avait-il décidé.