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Chronique du règne de Manu le Petit, au temps de la grippe pangoline

Chronique du quatorzième jour du mois de décembre, en l’an de disgrâce 20

Où il est question de coups bas, de manigances honteuses et de bêtes en tout genre…

Voulant éviter le déshonneur et le bannissement du royaume, le duc du Dard-Malin, Chambellan aux Affaires Domestiques, s’assura le concours de l’implacable Sieur Teutonic pour rentrer en grâces auprès de Sa Tyrannique Altitude . Le Grand Prévôt de la place de Lutèce, alléché dès qu’il était question de pratiques sanguinaires, fut en tout point un allié de poids. Le duc, à qui le Roy avait reproché son inefficacité face aux bandes tout de noir vêtues qui semaient la pagaille et faisaient frémir les bourgeois – même s’il se murmurait dans les gazettes que bon nombre de ces fauteurs de trouble étaient des fils de bourgeois ou pire, des fils de maitres des escholes ! – avait décidé de frapper un grand coup. Le Sieur Teutonic exécuta les ordres du petit duc à la lettre. Les argousins furent plus déchainés que jamais. Ils battirent comme plâtre tout ce qui tombait sous leur bâton : de vieilles Riennes eurent ainsi le crâne ouvert, des enfants furent poursuivis. Ils fondirent sur ces maudits séditieux et arrêtèrent au petit bonheur tous ceux et celles qui avaient le malheur de se trouver sur le chemin. Monsieur du Dard-Malin exultait. Il s’était perché sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur et pérorait d’importance dès que des gueux et des gueuses étaient conduits en geôle. Las ! Il s’avéra que bon nombre d’entre eux – à qui les argousins tentèrent de faire endosser non point des crimes imaginaires mais l’intention de les commettre – n’avaient rien à se reprocher mais ils se retrouvèrent malmenés et grelottants sur la paille pourrie des cachots. Ces maudits tribuns Insoumis se donnèrent rendez-vous pour brailler devant les maréchaussées que c’était là une injustice absolue. Le Chambellan aux Affaires Domestiques dut réfréner ses ardeurs et celles du Sieur Teutonic pour ne point les faire mettre aux arrêts sur le champ et les laisser aux mains de ceux des argousins qui ne connaissaient plus pour tout bréviaire que le catéchisme des Haineux.

Le baron du Cachesex avait fort laborieusement -comme à son accoutumée – livré à la populace les injonctions pour le Deuxième Déconfinement, appelé aussi le Petit Déconfinement, tant les Riens et les Riennes allaient encore se trouver soumis à des lois d’airain. Ainsi les laisser-passer ne seraient plus nécessaires mais le couvre feu empêcherait toute sortie. La Saint-Sylvestre était purement et simplement annulée. On resterait en l’an 20, ainsi en avait décidé le Roy. Les saltimbanques et autres bateleurs de foire, les théâtreux, les adeptes de Messieurs Lumières, les machinistes, les accessoiristes, tout le petit et le grand peuple de la culture, à qui l’on avait fait miroiter une reprise de leurs activités, en furent pour leurs frais. C’était remis aux calendes grecques. Monsieur du Cachesex n’avait même pas pris la peine de les consulter. La baronne du Cachalot, Chambellane en charge de ces Affaires des arts et de l’esprit, avait purement et simplement sombré on ne savait trop où, à moins qu’elle ne fût revenue à sa précédente marotte, qui consistait à pérorer dans les salons d’une Lucarne Magique. Les saltimbanques en étaient réduits à la soupe populaire, mais les faiseurs et les mauvais histrions comme Monsieur du Prout ou monsieur de l’Ane-Ouna continuaient de faire leurs choux gras dans ces salons. On n’exigeait rien de ces courtisans, pourvu qu’ils continuassent à déverser dans les cervelles fatiguées des Riens et des Riennes leur mauvaise bouillie.

On s’interrogeait. Pourquoi tant de dureté envers le monde des arts ? N’était-ce point encore le tropisme néronien de Notre Poudreux Cabotin qui le poussait à tout incendier pour rester le seul chantre de la Startupenéchionne ? Son vil peuple, mis à la diète, serait forcé de reconnaître son immense génie lorsqu’il ne resterait plus que Lui. Quant au baron du Cachesex, il avait tout du troubadour incompris, n’ayant jamais rêvé d’autre que de briller de mille feux aux Comices Agricoles de sa province.

Le Roy s’était pour l’heure fort diverti en recevant fastueusement le Sanguinaire Al Nonnon, le Pharaon de l’Egypte. Les Riens et les Riennes n’eussent jamais ouï dire de cette visite si les Lucarnes Magiques du Nil n’en avaient fait la narration complète. On apprit ainsi que la duchesse de l’Ide-Aligot, voulant complaire à Son Impériale Cachotterie, avait déroulé le tapis rouge de la Ville de Lutèce ; la baronne de la Part-Mollie, Chambellane aux Armées du Roy, avait fait elle-même office de carpette au noble Al Nonnon à sa descente d’aéroplane. Notre Délicat Amphytrion avait décoré son hôte de la plus haute distinction du royaume, ce qui avait fort déplu à un bel esprit italiote, qui, ayant lui-même reçu ce colifichet, l’avait renvoyé illico en signe de vigoureuse protestation. Pendant que Sa Sautillante Légèreté batifolait avec le Sanguinaire Al Nonnon, sous les yeux langoureux de la Reine-Qu-On-Sort, laquelle s’ennuyait à mourir depuis qu’elle ne pouvait plus régaler les gazetiers des derniers potins du Château, un jeune adepte de Messieurs Lumière mourait dans les geôles putrides du royaume de l’Egypte. Son tort était d’avoir moqué dans une modeste cantate Al Nonnon le Terrible. Le Roy, qui avait pourtant la larme facile – on en avait eu des démonstrations récentes – ne commit point la faute de mauvais goût qui eût consisté à ennuyer son hôte en mentionnant devant lui cette peccadille.

Ainsi en allait-il au Royaume du Grand Cul Par Dessus Tête. Le duc de Dard-Malin, tout Chambellan aux Affaires Domestiques qu’il était, dut aller s’expliquer devant les juges sur des faveurs d’alcôve contre lesquelles il avait monnayé quelques menus services envers une Rienne, dont il prétendait ses grands dieux qu’elle était consentante, et qu’il n’avait somme toute que fait « son jeune homme ». Sa comparse la marquise de la Courge fit encore enrager son digne père, lequel n’en finissait point de se demander comment il avait pu engendrer une telle pécore.Perchée sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur du matin au soir, notre bonne marquise pérorait haut et fort contre les Insoumis, contre qui elle usait de la rhétorique chère à la ChatelHaine de Montretout, faisait montre d’une ignorance confondante quant à l’Histoire de notre pays, avant de susurrer d’un air égrillard que le gouvernement de Notre Poudreux Polisson, bien qu’il convint d’user de moult précautions pour maintenir à distance les terribles miasmes pangolins, n’empêcherait point «les plans à trois ». On était rassuré.

Las ! La marquise trouva encore à faire parler d’elle en lançant un concours pour lequel il était patent qu’elle n’eût jamais pu s’y illustrer, ou alors pour y montrer l’exemple contraire. L’affaire était simple : la pécore appelait les Riens et les Riennes à nommer parmi eux celles et ceux qui avaient commis de bonnes et nobles actions. On les nommerait « Prodiges du Royaume », on les fêterait, et on les récompenserait d’une obole de cinq cent écus. Un vrai bon Samaritain, un certain Herrus, qui vivait au fond de ses montagnes, et avait eu moult fois eu maille à partir avec la maréchaussée et la justice du royaume pour avoir porté secours à de pauvres hères en détresse, répondit que faire de bonnes actions lui avait pour sa part coûté trente mille écus en frais d’avocat. Vexée tel un pou, la marquise ne répondit point. Elle n’avait rien à répondre, hormis une sottise supplémentaire. En raison de toutes ses brillantes saillies, elle gagna le concours de la plus belle Cruche du royaume et fut la risée des rézosocios.

Il se trouva par bonheur Gracchus Mélenchonus pour mettre un peu d’ordre dans ce capharnaüm. A des gazetiers qui le sommaient de s’expliquer sur les accusations de « mahométo-léninisme » dont l’abreuvaient à la fois la duchesse de l’Ide Aligot et notre bonne marquise, le bouillant tribun – qui semblait s’être assagi- répliqua que c’était là les mots et la rhétorique malsaine des Haineux. « Mais enfin, répliquèrent ces courtisans, Monsieur de la Valse d’Espagne vous traite ainsi également ! « Même bête, même poil » asséna magistralement Gracchus devant les gazetiers médusés.

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