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Chroniques du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline

Chronique du 1er du mois de juillet de l’an de disgrâce 20

Où il est question de filiation, de faux repentir, d’inondation et de petites charrettes

La très lacrymale marquise de la Buse fut mise à la question par la commission d’enquête de la Chambre Basse au sujet de cette fâcheuse épidémie de grippe pangoline. Avec force bafouillages sanglotants et cafouilleuses approximations, celle qui avait été en charge de la Chancellerie de la MalPortance se donna à voir pour ce qu’elle était : l’arrière-arrière petite-fille de monsieur de la Palice et de La Voisin. Lorsqu’on l’interrogea sur la décision qui avait été la sienne à propos de la médecine de monsieur House – elle en avait interdit la vente dès le mois de janvier, au moment où les miasmes venus de l’Empire du Ciel faisaient leur entrée chez nous et qu’on apprenait concomitamment que cette potion à l’usage fort ancien se révélait efficace contre la maladie – elle eut ces mots qui passeraient sans nul doute aucun à la postérité : « moins on consomme de médicaments, mieux on se porte ». On comprit alors que la très compatissante marquise, bien qu’elle eût déjà quitté sa Chancellerie au milieu d’un déluge de larmes, était aussi à l’origine des recommandations serinées aux Riens et aux Riennes durant le Grand Confinement : « vous êtes malade ? Restez chez vous! »

Monsieur House, qui s’était trouvé quelques jours plus tôt devant la dite commission, avait tonné contre cette injonction absurde à ses yeux. La petite fillote de La Voisin, pour sa part, n’y avait point vu malice : elle avait agi selon une impeccable déontologie dont monsieur Diafoirus eût été ravi. On apprit ainsi de ses doucereuses explications qu’ elle avait ouï dire, qu’ elle avait imaginé, qu’elle n’avait point posé la question – à ce moment de ses bafouillages, elle dut demander à son assistant de se faire préciser qui étaient les quidams qui avaient en charge de déclarer conforme telle ou telle médecine – mais elle était certaine en tout point d’une chose : la potion dont le professeur Klorokine allait faire un bon usage, était en réalité un véritable poison, dont on se demandait par quelle inconcevable maladresse on avait pu en autoriser la vente. La marquise, dont nul petit mot de compassion pour les victimes de la grippe pangoline, à aucun instant, ne franchit les lèvres – il en était mort plus de trente mille – avait donc fait œuvre de salut public, et ce alors qu’elle se trouvait au milieu de la fosse aux lions. Elle narra ses hauts faits d’armes, la voix chevrotante, emplie de sanglots difficilement réprimés, devant une assistance médusée devant une telle abnégation, un tel sens du sacrifice et une prévoyance à nulle autre comparable ! Ce n’était plus madame de la Buse, mais Sainte-Blandine et Florence Nightingale réunies en une seule personne !

Le perfide et venimeux petit baron de la Chiotte osa malgré tout poursuivre l’interrogatoire de notre sainte et martyre. Qu’étaient ce donc que les propos dont madame la marquise avait abreuvé la gazette l’Univers au lendemain du premier tour du Tournoi des Bourgmestres ? N’avait-elle point fait des déclarations fracassantes, mettant en cause le Premier Grand Chambellan ? N’avait-elle point laissé entendre que Sa Splendide Malveillance Elle-Même avait eu vent des miasmes mortels et avait balayé toute velléité de prophylaxie ? Terrasser les rebelles contre la Réforme des Vieux Jours s’était révélé une affaire autrement plus importante, et l’on se souvient ici que le jour où le gouvernement devait examiner les moyens à mettre en œuvre pour empêcher les miasmes de se propager, il ne fut en réalité question que d’armer, sur ordre de Notre Sanglant Jupithiers, le terrible Quaranteneuftroit afin de pilonner la Chambre Basse et d’écrabouiller la révolte. Madame de la Buse ne savait pas de quoi l’on parlait. Pour échapper aux venimeuses questions, elle prétexta, dans une débauche de mièvrerie, que ce jour-là, elle était « fatiguée » et qu’elle avait passé une « journée épouvantable ». En outre, elle n’avait pu relire les propos qui lui avaient naturellement été extorqués sous la torture, tout ceci n’était donc que pures allégations de pisse-copies en mal de potins. Il n’y avait rien d’autre à dire.

Le lendemain, après que l’on eut écopé les larmes de la marquise, lesquelles avaient provoqué quelques dégâts, la Commission fit venir Madame la baronne du Cachalot et Madame la duchesse d’Anjou, toutes deux anciennes Chambellanes à la Malportance. La première, dont l’aplomb ne s’était jamais démenti, à tel point qu’elle était devenue meneuse de revue mondaine sur une Lucarne magique, fustigea madame de La Buse – une Chambellane se devait de tout connaître ! – mais touchée elle aussi par l’enmèmetantisme, elle excusa ses successeurs de tous leurs manquements – on l’avait tant accusée d’en avoir trop fait qu’elle comprenait fort bien qu’on finisse par avoir peur de la critique, que pour sa part elle n’avait jamais craint, car elle avait du caractère  ! – avant que de jeter de façon fort véhémente l’opprobre sur les médecins. Elle accusa ces derniers d’être tout bonnement des enfants . « On attend que le directeur de cabinet du préfet vienne avec une petite charrette porter des masques ? Qu’est-ce que c’est que ce pays infantilisé ? Il faut quand même se prendre un peu en main dans ce pays. C’est ça la leçon qu’il faut tirer. Tant qu’on attendra tout du seigneur du château, on est mal ! » Tels furent les propos de cette matrone, lesquels firent trembler les ors du palais Bourbon et tranchèrent fort avec les mièvreries de la marquise de la Buse. Madame du Cachalot passait cependant fort aisément sous silence les coupes sombres qui avaient été faites dans les dotations aux hôpitaux et elle escamotait ainsi la terrible pénurie de ces petites barrières d’étoffe qui avait conduit plusieurs médecins à la mort. Nul doute que cette fervente adepte de l’Eglise du Saint-Capital verrait du meilleur œil que chaque malade apportât désormais à son médicastre blouse et masque s’il ne voulait point être contaminé. Madame la duchesse de l’Anjou ne sut pour sa part que produire des quintaux de chiffres, lesquels étaient censés représenter les réserves de masques. Elle avait été elle aussi en toutes choses exemplaire. Tout ce qui était arrivé ensuite était tout à fait incompréhensible. Eût-elle été encore Chambellane qu’elle se fût fâchée très fort que pareille chose – madame d’Anjou faisait allusion aux réserves de masques qui s’étaient volatilisées – pût arriver.

Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne, dans ce pays où les gueux s’en finissaient pas de récriminer, les Chambellans de se défausser et le Prince de se réinventer.

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