Poster un commentaire

Chronique du règne de Jupithiers, au temps de la grippe pangoline

Chronique du trentième jour du mois de juin, en l’an de disgrâce 20

Où il est question de chutes, de maigres lots de consolation et de râteaux.

Monsieur de la Flippe, duc du Havre, était sauvé. Il était sorti vainqueur du Tournoi des Bourgmestres dans sa bonne ville. Les Riens et les Riennes avaient certes pour beaucoup boudé les réjouissances– comme partout dans le pays – et ne s’étaient point déplacés pour venir départager les impétrants, mais le duc n’en avait cure. Il avait réuni suffisamment de suffrages pour emporter la victoire. Pour qui était fin observateur des mœurs du royaume, nul doute qu’il préparait là non seulement ses arrières – pour le cas où Notre Dépité Jouvenceau décidât de se séparer de lui- mais aussi sa marche en avant vers le trône. Le Grand Mité – les mites, ces gentilles industrieuses ne s’étaient attaquées qu’à la barbe – s’était bien gardé de concourir sous les couleurs de la Faction du Roy, à laquelle du reste il ne s’était jamais rallié, et bien lui en avait pris, car, pour les Dévôts, ce fut la Bérézina. A Paris, la marquise de la Buse chuta lourdement, dans les larmes et le repentir, et elle n’eut droit qu’à un lot de consolation. Elle ne pourrait siéger au Grand Conseil. Son rival et frère ennemi, Monsieur de Deusédeufonkatre, dut lui aussi se contenter d’un maigre lot, un siège au petit conseil. Pour notre bonne marquise de la Courge, qui avait quitté sa bonne ville du Mans, jugée par elle trop provinciale pour ses ambitions – ce fut pire : elle n’obtint pas le moindre petit siège. Elle repartit bredouille et mortifiée. Le Roy, qui avait formé moult espoirs sur la capitale, espérant y voir régner en maitres ses partisans, reçut un camouflet : seulement cinq de ses Dévôts et Dévôtes siégeraient au Grand Conseil, et encore parmi ces cinq s’en trouvait-il deux à qui il venait des vapeurs dès qu’il s’agissait de mentionner sous quelles couleurs elles avaient concouru. Elles faisaient les caméléons et finiraient sans nul doute par prêter allégeance à la duchesse de l’Ide-Aligot, victorieuse de ce Tournoi dont la durée avait défié le bon sens, et lassé les Riens et les Riennes.

Il en alla de même dans tout le pays. La Faction de la Marche sombra corps et biens, ou presque. Seuls flottaient, épars, quelques débris auxquels s’accrochaient tant bien que mal quelques rescapés qui ne durent leur salut qu’à leur lâcheté. Quant aux imprudents qui s’étaient alliés avec des Marcheurs, ils sombrèrent eux aussi, sauf à Toulouse où le baron de la Boudenfle, qui avait tant fait régner la peur des moujiks que les braves bourgeois en avaient tremblé d’effroi, se vit à nouveau remettre les clés de la ville. La Faction des Haineux ne sortit pas plus glorieuse de ce Tournoi qu’elle n’y était entrée bien qu’elle eût un beau sujet de satisfaction avec la victoire dans la bonne ville de Perpignan du baron de Heiliheilo, un homme brutal et sanguin dont l’obsession était la sécurité. Ce baron avait un temps partagé la couche de sa suzeraine, la Chatelhaine de Montretout, avant de s’en éloigner. On le disait aussi quelque peu en délicatesse avec sa Faction, dont il n’avait point arboré les couleurs lors du Tournoi, mais il en partageait toujours les thèses nauséabondes. La bonne ville de Perpignan souffrait de mille maux. Le baron avait recueilli les suffrages des pauvres qui cherchaient à imputer leur misère à encore plus pauvres qu’eux. C’était une grande cité qui tombait ainsi dans l’escarcelle des Haineux. Qu’y feraient-ils ?

Dans la bonne ville de Massalia, les Printaniers l’avaient emporté en suffrages mais ils n’avaient pas gagné suffisamment de sièges de conseillers pour pouvoir régner sur la ville. La baronne de la Galinette Centrée se retrouvait – pour sa plus grande gloriole – en position d’arbitre. Cette zélée admiratrice de Sa Microscopique Grandeur avait en effet maigrement gagné sur le tribun monsieur Coppolus, au terme d’une bataille où elle n’avait pas ménagé les coups bas : après s’être proclamée rempart vivant contre les Haineux, lesquels avaient été devancés sans conteste aucun par les Printaniers emmenés par monsieur Coppolus, elle avait, de la façon la plus déloyale possible, effacé du paysage son véritable adversaire, donnant ordre d’afficher de hideux placards jaunes sur tous les murs de son fief. Sur lesdits placards, il n’était question que des Haineux, lesquels n’eurent donc rien à faire pour que l’on parlât d’eux . Comme cela ne suffisait pas, elle ordonna aussi que l’on recouvrît de blanc les placards de monsieur Coppolus. Elle ne supportait aucune concurrence. Elle ne lésina pas davantage devant aucune des vieilles méthodes de racolage, promettant ici un emploi, ici quelques termes de loyer, afin de recueillir les suffrages. Les Riens et les Riennes, dans ces territoires du nord de la cité, étaient las et pour beaucoup, ils se détournèrent du Tournoi. A l’aune de tout le papier gaspillé, la victoire de la baronne fut chiche mais la loi qui organisait la gouvernance de la cité était telle qu’elle la plaçait en pivot, ce qui siéyait à cette femme boursouflée d’orgueil et de vanité, qui n’avait d’autre ambition en vérité que de retrouver son fauteuil de sénatrice à la Chambre Haute, afin de se mettre à l’abri de tout ce qui pourrait survenir de fâcheux. Il ne faisait de mystère pour personne, sauf pour ses affidés qui lui vouaient une admiration béate et servile – elle leur servait moult fables pour les endormir – , que ses préférences allaient désormais à la baronne Tine de La Vasse. Il se disait même qu’elle lui avait déjà secrètement prêté allégeance, contre une assurance de retrouver sa charge de sénatrice. Las ! La baronne Tine de La Vasse avait piteusement chuté, clôturant ainsi comme elle l’avait commencée sa calamiteuse prestation lors de ce Tournoi et de ses préliminaires. Cette héritière avait échoué à ravir à son adversaire le fief de son parrain, le vieux baron de la Godille, lequel se repentait amèrement de l’avoir adoubée. Le vieillard noueux remâchait son ire, oubliant jusqu’au nom de cette « dame ». Comment en était-on arrivé là ?

Cependant, Madame de La Vasse souffrait, comme tous les fidèles de Notre Eventé Bonimenteur, d’une crise fort aiguë de déni. Elle trépignait qu’elle n’avait point perdu et qu’elle entendait bien se présenter au dernier tour de piste, celui au cours duquel serait choisi la Bourgmestresse de la ville. On ne put lui faire entendre raison. Bien qu’on l’eût mise sous perfusion de camomille et de valériane, elle persista dans son délire. Assistait-on là à un des terribles effets secondaires de la potion du Docteur House, que madame de La Vasse avait absorbée au lendemain de ce fatidique dimanche de mars ?

Les gazetiers, gardiens de la bien-pensance et de la Très-Saint-Phynance, s’avisèrent que parmi les vainqueurs du Tournoi, il se trouvait bon nombre de partisans de la Faction des Jardiniers. Ils omirent soigneusement de dire que les Jardiniers n’avaient pu vaincre que grâce à l’aide de Tribuns, ou de simples citoyens et citoyennes qui entendaient se mêler de la chose publique. Dans les salons des Lucarnes Magiques, on glosa d’importance. On parla de « vague verte ». Le duc de la Jade d’Eau ne se sentait plus d’aise. Il jurait ses grands dieux qu’il ne participerait point au prochain gouvernement de Sa Sempiternelle Réinvention, mais il fallut l’attacher solidement à son lit pour qu’il ne se précipitât point ventre à terre au Château prêter allégeance et occuper illico la place de Premier Grand Chambellan.

La Justice était passée et avait bel et bien condamné le duc de Sablé, Monsieur du Fion. La sentence de deux années effectives de geôle avait été ainsi prononcée par une juge implacable, c’était là le châtiment pour avoir confondu les cassettes du royaume avec les siennes et s’ y être largement servi pour son enrichissement et celui de sa famille. Mais on n’envoya point la maréchaussée requérir ce noble baron comme on le faisait pour un petit malfrat. Que nenni ! Le duc cria à l’outrage et ordonna à ses avocats de faire appel de ce jugement diffamatoire et indigne, ce qui suspendait l’exécution de la peine. La Justice étant fort encombrée, on ne savait quand interviendrait le procès suivant. Le duc pouvait dormir tranquille. Lorsqu’il était encore impétrant au Tournoi de la Résidence Royale, quelques trois années auparavant – il semblait à beaucoup que c’était là une éternité – ce même duc avait promis que s’il devenait Roy, il mettrait fin à « l’inexécution des peines ».

Ainsi donc en allait-il en Starteupenéchionne. Le vaisseau amiral de la flottille avait sombré. Notre Calamiteux Timonier n’en avait cure. Il se préparait à une renaissance, telle la Reine-Qu-On-Sort, laquelle n’avait jamais autant mérité son patronyme de Ravalée de la Façade. Il se trouverait bien quelques intrigants prêts à tout pour venir mendier un maroquin. La mode étant semblait-t-il au vert, on avait fait provision de force pelles, râteaux et autres binettes. La Faction de la Chatelhaine eût-elle remporté plus de villes, que Sa Machiavélique Petitesse eût fait délivrer à la population des lots de camisoles brunes. La prévoyance était mère de la sûreté.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :