Chronique du vingt et unième jour du mois de juin de l’an de disgrâce 20…
Où il est question de machines à ventiler, de consultation fallacieuse et de cigares cubains …
On approchait du mitan de cette étrange année, et de la Saint-Jean. Depuis le règne du roi Françoué 1er, il était de tradition de fêter la musique à la date du solstice d’été . C’était au sémillant Chambellan aux Affaires de l’esprit de cette époque, le baron de la Jacque – Languette, à qui l’on devait cette coutume, laquelle était joyeusement entrée dans les mœurs, se transformant souvent en vacarmes et tintamarres accompagnées de ripailles enjouées. L’actuel Chambellan en charge de ce noble maroquin, le très fat et très insignifiant Chevalier des Rillettes – dont on venait d’apprendre qu’il avait un train de vie tout à fait dispendieux, et ce bien entendu aux frais des Riens et des Riennes -, avait prévenu que cette année serait différente, mais qu’il convenait toutefois de célébrer cet art chéri par le bon peuple. Cependant, tout ce qui faisait le sel de cette fête – les concerts spontanés aux coins des rues – étaient proscrits. Il ne devait point se faire d’attroupements. En lieu et place de quoi, le brave vendeur de carrosses proposait que chacun et chacune s’assît benoîtement, qui devant sa Lucarne magique, qui devant sa Téesseffe, et écoutât religieusement les réjouissances autorisées. Le Chambellan en profita pour annoncer que les salles de théâtre et celles du cinématographe allaient rouvrir, à la condition toutefois de toujours respecter les sacro-saintes distances, sauf si l’on venait en famille ou en groupe d’amis. La profession de saltimbanque était à l’agonie. Comment donc, arguaient-ils, pouvait-on aller de nouveau s’entasser dans les aéroplanes et dans les wagons du chemin de fer, et se voir interdire d’avoir un voisin ou une voisine au théâtre ? Le Chevalier des Rillettes s’embarqua dans une histoire d’aération, laquelle se faisait à l’aide de machines dans lesdits aéroplanes et les wagons. Notre Triomphal Ventilateur ne venait-il point de commander à son Chambellan que les pièces de théâtre se jouassent désormais à bord des aéroplanes, et que le cinématographe ne se donnât à voir exclusivement qu’ à bord des wagons du chemin de fer ? C’était ce que l’on appelait le progrès en marche.
Sa Cynique Altitude avait cependant d’autres desseins en tête. Elle entendait bien faire oublier aux Riens et aux Riennes l’épidémie de grippe pangoline, et la façon plus que calamiteuse dont son gouvernement l’avait administrée. Tout ce qui pouvait servir de diversion était pain bénit. Ainsi les Très Chers Conseillers s’avisèrent-ils que se terminait fort à propos une convention, laquelle avait duré pas moins de huit longs mois, au cours desquels quelques cent cinquante Riens et Riennes, tirés au sort, s’étaient très sérieusement trituré la cervelle pour empêcher que ne survînt une catastrophe climatique. Cette convention avait été décidée par le Roy lui-même, qui avait aussi décidé des sujets de débats. Un contrat moral avait été dûment établi, et tous devaient s’y tenir. C’était là une admirable diversion que les Conseillers avaient suggérée à Notre Doucereux Babillard pour en finir avec la Grande Gileterie. Les braves que l’on avait soigneusement tirés au sort ne devaient donc point en principe s’embarquer dans trop de folies, il n’était pas prévu, dans ces réjouissances soigneusement encadrées, que s’y fomentât une révolution. On faillit cependant la frôler. Dans les cervelles échauffées de quelques hurluberlus – on n’avait pu les tous les écarter – naquit la stupéfiante idée de réduire le temps de travail ! A la suite d’un houleux débat, on réussit cependant à mettre ces fadaises sous le tapis. Le Roy, via ses Conseillers, avait aussi tenté de suggérer à ses bons et loyaux sujets de réhabiliter l’idée d’une taxe sur le combustible destiné à faire rouler les carrosses et autres charrettes, laquelle taxe avait été à l’origine de la Grande Gileterie. Les Conventionnels ne s’y laissèrent point prendre. Ils refusèrent tout uniment d’être un instrument dans la main de Sa Monumentale Tartufferie. Leur lucidité s’arrêtait là. Pour le reste, ils avaient oeuvré et ce tout à fait gracieusement.
Les Conseillers s’estimèrent satisfaits. Les travaux avaient accouché de cent cinquante propositions, que l’on présenterait triomphalement « sans filtre » à la Chambre Basse. Notre Poudreux Opportuniste avait arrêté le dessein de faire siennes ces propositions et de les porter à l’approbation de son peuple, à travers une Grande Consultation. Le but secret et non avoué était de se faire légitimer à nouveau et se remettre en selle pour le Tournoi de la Résidence Royale. Ragaillardie à cette perspective, Sa Folâtreuse Altesse s’en était allée chez son ami Sir Beaurisse The Yellow commémorer une date historique, celle du dix-huit juin de l’an quarante du siècle précédent, qui avait vu le futur Charles 1er dit le Grand lancer un appel solennel à reprendre le combat devant l’armée d’Hadolfe le Cruel. Sir Beaurisse était un facétieux, et Notre Affectueux Galopin s’amusa comme un fou à prendre la pose devant la demeure de son ami, à défaut de pouvoir le bisouiller en public. La Gazette Le Lutécien, qui donnait dans l’hagiographie et la Vie Illustrée des Saints, publia une série d’images où l’on pouvait admirer Sa Neigeuse Altesse au milieu des fleurs, puis sous un parapluie, passant en revue les troupes britanniques, accompagnée de son cher cousin, le Prince Tcharle, le très vieil héritier de la très âgée mais néanmoins fort lucide Quine Elizabeuffe, dont on se demandait bien pourquoi elle n’avait toujours point abdiqué en faveur de son rejeton, lequel se ratatinait de plus en plus. Le Roy était accompagné durant son périple par le vieux baron du Truant, qui avait joué auprès de Sa Primesautière Majesté le rôle dévolu ordinairement à la Reine-Qu-On-Sort. Dame Bireguitte n’avait point en effet accompagné son royal Epoux, le Château ayant fait savoir qu’elle avait du subir une opération de chirurgie oculaire, fort fréquente à son âge. On s’était illico empressé de faire savoir que la Reine se portait après cela comme Le Pont-Neuf, après un énième ravalement.
Dans les escholes, on se préparait à l’arrivée du nouveau protocole, lequel consistait à enlever toutes les tables des salles de classes, tout juste concédait-on quelques chaises pour que les bambins et les galopins pussent une moitié de fondement sur lesdites chaises, et se les partager, au grand mépris des « gestes barrière ». Les Grands Inquisiteurs Rectaux avaient du reste argué que l’on pouvait tout à fait écouter une leçon tout en étant debout. Du fond de ses appartements, Monseigneur le duc de La Blanche Equerre continuait de méditer les plus sombres sanctions afin de punir les fainéants parmi les maitres des escholes, lesquels avaient bien trop renâclé à suivre ses préceptes . La Gazette La Virgule, qui professait une admiration sans borne pour ce zélé serviteur, au point d’avoir vu en lui le nouveau « cerveau » du Roy – lequel en manquait fort s’il fallait en croire cette gazette – lui adressa une épître des plus flagorneuses où il apparaissait que le gazetier commis à cette besogne vilipendait ces indignes maîtres – qu’il eût été bon de pendre haut et court – et déclamait une ode des plus vibrantes à l’intention du duc qui crut en mourir de plaisir. Las ! Cette perspective – laquelle, il fallait bien l’avouer, en eût réjoui plus d’un et d’une tant était grandes l’amertume et l’écœurement – n’arriva point. Monseigneur de la Blanche Equerre en fut quitte pour une belle frayeur et un accroissement fort sensible de ses certitudes.
Dans la bonne ville de Massilia, l’état de la baronne Tine de La Vasse ne laissait également d’inspirer moult inquiétudes, à l’instar des pauvres vieillards séniles dont ses gens avaient mielleusement sollicité les suffrages, alors qu’ils n’étaient plus en mesure d’en comprendre les enjeux. Non seulement cette digne femme continuait d’avoir des visions effarantes de hordes de moujiks défilant sur la belle Cane-Canebière, avec à leur tête le tribun Gracchus Mélenchonus, mais voilà que son imagination enfiévrée lui faisait aussi se représenter des barbus – fumant le cigare – s’asseoir dans le fauteuil de son mentor et parrain, le vieux baron de la Godille. C’était là chose inouïe. La pauvre femme était allée se répandre sur la gazette – à qui par ailleurs elle octroyait une généreuse dotation, puisée dans les réserves du trésor public – afin de s’ériger en rempart contre l’Apocalypse. Elle y réussit surtout à se rendre ridicule. Comme tous ceux et toutes celles qui professaient une haine féroce à la simple évocation du mot « partage », elle n’avait qu’un mot à la bouche : Vénézuelaaaa. Si les Printaniers emportaient d’aventure le Tournoi des Bourgmestres, ne clamait-elle point que ce serait un coup d’Etat « vénézuelien » ? Personne n’avait songé à éclairer l’entendement de cette baronne, dont l’horizon se limitait au boulevard Périer. Il y avait bien eu une tentative de coup d’Etat dans ce lointain pays, mais elle était le fait d’un factieux, le senor du Guano, un grand ami de Notre Fringant Excitateur – il avait été reçu en grande pompe au Château – et avait, en tout état de cause, lamentablement échoué. Le senor du Guano n’avait du son salut qu’ à l’obligeance de l’ambassade de la Starteupenéchionne qui lui avait ouvert grand ses portes.
De son côté, la baronne de la Galinette Centrée, depuis sa belle demeure patricienne dans les beaux quartiers de la cité, ne décolérait pas. Son bon ami, le marquis de la Jade d’Eau, était venu présenter ses verts et jardiniers hommages à madame Rubilus, et lui souhaiter bonne chance de remporter avec ses amis les Printaniers le Tournoi des Bourgmestres. Madame de la Galinette, dont il se disait que son allégeance penchait très fort du côté de la baronne Tine de La Vasse, exigea que le marquis lui adressât aussi un billet d’hommages, qu’elle produisit publiquement, se targuant de se préoccuper elle aussi de verdure et du chant des petits oiseaux. Dans son fief du nord de la cité, qu’elle quittait chaque vesprée pour le riant vallon où était sise sa belle demeure, rien ou presque n’avait été mis en œuvre pour que régnât l’harmonie et la beauté. La misère et la désespérance y faisaient tout au contraire des ravages. Les Printaniers espéraient fort redonner aux habitants et aux habitantes un peu d’espoir. La tâche était grande.
Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne, au solstice d’été, en l’an de disgrâce 20.