Chronique du deuxième jour du mois de juin de l’an de disgrâce 20
Où il est question de cerises, de tumultes et de colères.
Dans la bonne ville de Massalia, les parades du deuxième tour du Tournoi des Bourgmestres avaient commencé. La baronne Tine de la Vasse était allée se répandre en lamentations auprès des gazetiers de la capitale, prédisant l’apocalypse, on l’eût dit réincarnation du prophète Philippus drapé de blanc, frappant sur son gong pour annoncer au monde la survenue d’un astéroide. Aux dires de la baronne, celui qui menaçait la Canebière – et par la même occasion la petite entreprise de gouvernance de la baronne, laquelle entendait être tout à la fois, dans cet enmèmetantisme si cher à Notre Prince des Nuées de Sauterelles, bourgmestresse et doublement présidente de la Grande Ville et du Département, avait un nom : les Rouges. « Est-ce qu’on veut que cette ville passe aux Rouges ? », telle était la fracassante question que brandissait la baronne, drapée dans son blanc étendard tout versaillais, et de développer à l’envi sa vision apocalyptique de l’Armée Rouge défilant sur la Canebière au son d’une tonitruante Internationale. Celles et ceux qui entendaient mettre fin aux agissements de la baronne et de sa clique, étaient en vérité parés de toutes les couleurs que peut revêtir le printemps.Le vert était celui de l’espoir, le rouge celui des cerises, dont on n’avait jamais, au fond des cœurs, oublié le temps. Les merles moqueurs voulaient prendre leur revanche. Dans les quartiers du nord de la cité, la baronne de la Galinette Cendrée, se prenant pour une icône, s’affichait sur le moindre mur. Le procédé tenait d’une forme aiguë d’incontinence. Toute autre expression était proscrite. Madame Tine de la Vasse était atteinte de la même maladie. On ne voyait qu’elles.
Dans tout le pays, on n’entendit que ceci : le doux bruit des chaises sur les terrasses des estaminets qui avaient enfin reçu l’autorisation de faire couler la cervoise fraiche. Mais la liberté n’était point totalement retrouvée, il fallait avoir recours à moult contorsions pour pouvoir poser son fondement sur une chaise. La cervoise eut ce premier jour un goût d’entrave. Un autre bruit se fit entendre : les clameurs de Riens et de Riennes qui réclamaient justice pour une affaire qui ressemblait étrangement à celle qui embrasait l’Empire des Amériques. Cela faisait quatre longues années que les proches d’un jeune Rien – qui avait aussi commis la faute d’être né noir de peau – affirmaient que sa mort était survenue par asphyxie après qu’il avait été maintenu au sol par des genoux brutaux. Dans l’Empire des Amériques, la thèse défendue par les Haineux et les Rassistes – qui voulait que ces quidams eussent tout bonnement succombé à une maladie inconnue et tout autant que subite – avait fait long feu. Il ne faisait aucun doute qu’il y avait eu homicide. Chez nous, les choses avaient traîné en longueur. La justice avait produit dans l’affaire des études affirmant que les argousins n’y étaient pour rien. Mais la famille avait persévéré. Et voilà qu’un médicastre, mandé par les proches éplorés, avait rendu un autre verdict : il se prononçait pour l’asphyxie. Un grand attroupement, malgré l’interdiction qui était toujours faite de se rassembler à plus de dix quidams, se fit du côté de Bobigny. Les argousins se postèrent sur une éminence pour mieux gazer la foule, qui scandait les derniers mots de l’infortuné Rien d’outre-Atlantique : « I can’t breathe ».
A la Chambre Basse, les députés avaient obtenu que l’on se mît autour d’une table afin d’examiner comment le gouvernement avait mené le pays pendant l’épidémie de grippe pangoline – laquelle n’avait peut-être pas dit son dernier mot. Allait-on enfin faire le compte des bévues et autres turpitudes commises et porter réclamation ? Celles et ceux qui eussent pu se laisser aller à rêver pareille chose en furent vite pour leur frais : l’âme damnée de Notre Mensongeux Timonier, le duc d’Anfer, s’autoproclama président et secrétaire de ladite table. La messe était dite. Il ne restait aux Riens et aux Riennes qu’une voie que leur montrait Sa Sirupeuse Malveillance : celle de la soumission. La chancelante et bafouillante douairière de la Peine-En-Ecot incita les patrons et les maitres des forges à baisser les rétributions de leurs ouvriers : si vous gagniez cent sous, on ne vous en donnerait plus que quatre vingt, à condition que vous travailliez douze heures au lieu de dix, et encore deviez-vous vous estimer heureux que l’on vous permît de travailler car il ne faisait plus aucun doute qu’on allait jeter en masse des laborieux comme on se débarrassait des encombrants. Ainsi ceux qui, pendant le Grand Confinement, avaient œuvré nuit et jour dans une manufacture de sucre à produire de l’alcool pour les alcoolats nécessaires aux saintes ablutions venaient-ils d’apprendre sans autre forme de procès que leur manufacture allait tout bonnement fermer. Ce n’ était que le début de la misère.
Notre Enjoué Foutriquet appelait cela « le retour des Jours heureux ». Il en allait de même pour les hôpitaux. Les promesses du Roy ressemblaient fort à des miroirs aux alouettes. Comprenant que la baronne du Notabenêts était juste là pour faire de l’animation telle une joyeuse missionnaire, que d’écus en plus dans les bourses désespérément plates il n’y en aurait point, et que, pendant que l’on perdait son temps à de vaines parades, la transformation des hôpitaux en hostelleries de luxe continuait bon train, une guilde de nurses et de gardes-malades décida pour de bon de jeter le gant, dénonçant « une parodie ». La révolte grondait de tous côtés.
Le bouillant tribun Ruffinus fit une nouvelle fois les frais du mépris que la Faction de la Marche professait pour quiconque n’appartenait pas à leur secte. Ce député du peuple s’était ému de ce que les pauvres soubrettes qui avaient en charge la propreté de la Chambre Basse fussent aussi peu rétribuées et qu’on ne leur majorât jamais leur maigre salaire pour être obligées de travailler aux petites heures de la nuit. N’écoutant que son cœur – cet organe ne lui faisait jamais défaut – il se mit en tête d’écrire une loi afin d’améliorer leur sort. Las ! La Faction de la Marche mit la main sur ce beau projet. A l’inverse de monsieur Ruffinus, les Dévôts du Roy n’avaient ni cervelle ni cœur. Ils vidèrent les écrits du tribun de leur substance, la remplaçant par un ersatz qui était censé tenir lieu de principe, lequel aurait pour effet de rendre encore plus dure la condition des pauvres femmes. Lorsque monsieur Ruffinus, prenant connaissance de ce saccage, annonça qu’il n’approuvait point ce qu’était devenu sa loi, la cheffe des Dévôts qui présidait à l’examen des textes, se gaussa sottement, les autres, ne sachant que suivre, entonnèrent le même petit refrain méprisant, ricanant derrière leurs masques. C’en fut trop pour le tribun qui explosa de rage contenue.
Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne, dans les premiers jours du mois de juin, dans la deuxième phase du Grand Déconfinement.
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