Chronique du 1er du mois de mai de l’an de disgrâce 20..
Où il est question de faussetés et de chamailleries, de vilenies et de sacrifices.
Or doncques nous étions au premier du moi de mai, et Notre Fringant Disputailleur s’avisa qu’il était grand temps qu’il s’adressât derechef à son peuple, afin de lui délivrer de bonnes et lénifiantes paroles, et d’adoucir ainsi sa réclusion. Afin de paraître totalement à son avantage, Sa Facétieuse Frivolité, ayant passé des heures dans une petite cabine sous de faux rayons du soleil – endossa la panoplie du tribun Gracchus Mélenchonus, ainsi que son vocabulaire. Il fut ainsi question des « laborieux et des laborieuses », dont ce jour était la fête. Notre Médiocre Imposteur vantant l’esprit de ce jour, semblait tout bonnement dresser une ode aux accents lyriques et mélodramatiques à l’intention des guildes des laborieux, des laborieux eux-mêmes, grâce à qui la Starteupenéchionne tenait le cap, ces braves et fiers combattants, ceux-là dont il avait cherché à transformer les Vieux-Jours en juteux dividendes pour ses Très-Chers-Amis de la maison Braque-Et-Raque, ceux-là que sa maréchaussée avait chargés, gazés, mutilés, engeôlés. Dans l’esprit de Sa Détestable Affectation, ce jour cher au peuple, n’était en vérité que le moment de « vendre » du muguet – lequel, ainsi en avait décidé ce vieux maréchal si cher au cœur de ce prince, avait malheureusement remplacé la belle églantine – et de se disputer. Par la bouche du Roy, les luttes des laborieux et des laborieuses pour conquérir leurs droits se métamorphosaient en d’innocentes et enfantines « chamailleries », ses mauvais sujets en marmots indisciplinés et querelleurs qu’il convenait de gronder un peu en leur faisant de fallacieuses promesses de « jours heureux », lesquels devenaient un vulgaire colifichet.
Notre Machiavélique Cabot acheva son mielleux et zézayant discours sur les mots « ensemble, unis ». Car telle était bien l’intention cachée au cœur de cette ode médiocre : préparer le peuple à l’entrée en scène d’un nouveau gouvernement de « cons-corde ». D’aucuns, observateurs avisés de la manière dont Sa Calamiteuse Duplicité et son gouvernement avaient administré le pays face à l’épidémie de grippe pangoline – on avait dépassé les trente mille morts et il s’en mourait toujours -, prédirent que les Factions qui siégeaient à la Chambre Basse ne manqueraient pas de vouloir diligenter une investigation afin de déterminer qui avait fauté, et en quoi. Y avait-il eu mensonges ? Ou n’était-ce qu’une épouvantable inaptitude à mener les affaires communes d’un pays ? Monsieur Toddus, un de ces observateurs, qui faisait œuvre de théoriser sur la société, eut ces mots : « Nous saurons que le monde a changé quand ceux qui nous ont mis dans ce pétrin seront devant un tribunal ». L’affaire était d’importance. Les Conseillers pressèrent Notre Prince des Nuées de ratisser largement dans toutes les Factions, afin d’en débaucher les plus enclins aux honneurs – il s’en trouvait toujours – , et de briser ainsi toute velléité que fût lancée une quelconque enquête, laquelle n’eût pas manqué d’être fort fâcheuse.
Les deux maréchaussées – la civile et la militaire- continuaient de sévir avec hargne et cruauté, laissant libre cours aux plus mauvais instincts de certains de leurs bras armés : à Paris, trois de ces reîtres noirs regrettèrent avec force lazzi de ne pas avoir attaché une pierre au cou d’un pauvre malandrin qui s’était jeté à la Seine en cherchant à leur échapper, car en plus d’un supposé larcin, il avait commis le crime d’avoir la peau trop brune ; près de Tours, un simple quidam, qui avait commis le même crime, celui d’avoir la peau trop sombre, fut roué de coups, gazé, avant d’écoper d’une simple amende au motif que la date et l’heure du laisser-passer n’étaient plus conformes au moment où ces braves pandores garants de l’ordre et de la sécurité, leur besogne perpétrée, s’étaient avisés qu’il leur fallait un prétexte pour verbaliser leur victime ; à Orléans, un galopin qui avait nuitamment fait le mur pour rejoindre un de ses comparses, voyant les gens d’armes, prit la fuite, mais il fut rattrapé et tant malmené que ces héroïques cruchots, s’y mettant à plusieurs contre ce dangereux malfaiteur, lui cassèrent une côte et le décorèrent de multiples bleus. Le tableau de chasse de ces zélés suppôts du Roy s’enorgueillissait de cinq nouvelles victimes, et d’une dizaine de blessés. Monseigneur le duc de Gazetamère fronça les sourcils quand il apprit que certains de ses gens se comportaient aussi mal : il ne fallait point proférer des remarques désobligeantes sur la couleur de la peau des malfrats.
Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne en ce premier du mois de mai de l’an 20, au quarante-sixième jour du Grand Confinement. Les Riens et les Riennes manifestèrent à leurs balcons, on pleurait les morts qu’on ne pouvait toujours pas accompagner à leur dernière demeure – parmi ces morts se trouvaient d’héroïques médecins qui avaient lutté pied à pied sans aucune protection contre les miasmes-, et l’on faisait les comptes : les masques tant honnis allaient coûter de coquettes sommes maintenant qu’ils allaient devenir obligatoires. La prospère maison Quecériant, qui exploitait les hospices dans lesquels se mouraient les vieillards – autant des miasmes que de solitude – renonça à verser à ses porteurs de billets à ordre les forts juteux bénéfices que leur procurait cette activité. En réalité, ce n’était que partie remise, on attendait que l’attention se portât ailleurs. Le très cacochyme et égrotant gazetier monsieur Durdelaselle, qui avait grandement dépassé l’âge d’être pensionnaire dans l’un des hôtels de la maison Quecériant, eut ces mots : « les Riens et les Riennes sont anxieux et c’est une très bonne chose. Cela rend les gens plus raisonnables qu’ils ne le seraient spontanément, ce qui aidera au redémarrage économique. » Foin donc de ces puériles chamailleries, il fallait aller mourir au labeur. Tel était le bon vouloir du Roy.
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