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Chroniques du règne de Manu 1er dit le Marmiton

Chronique du mardi 28 avril, quelques heures avant les grandes annonces…

Où il est question de grands desseins et de désinfection…

Il se disait que le Premier Grand Chambellan était fort marri. Les mites n’avaient pas fait que lui ronger la barbe, elles l’avaient atteint à l’âme. Les coursives du Château bruissaient de rumeurs sur les desseins que Notre Erratique Timonier entendait mettre en œuvre : après avoir usé jusqu’à la trame de son Premier Grand Chambellan, il pensait à s’en choisir un tout neuf, tout frais, pour faire oublier les mois désastreux de cette épidémie. Des noms se murmuraient, dont celui du comte de la Jade d’Eau, membre de la Faction du Jardin. L’intéressé, bien qu’il fût fier comme un pou qu’on eût pu penser à lui, produisit de vigoureuses dénégations devant Mme du Chiendent, la bien-nommée, qui le soumit à la question. On ne le prendrait jamais à participer à un tel débauchage, il avait l’âme bien née et se trouvait au dessus de la mêlée. La vérité était que ce comte, qui ne doutait de rien et encore moins de lui-même, avait d’autres desseins en ligne de mire et parmi eux, celui de remplacer avantageusement Sa Grande Culbute en vue du prochain Tournoi de la Résidence Royale. Il comptait déjà dans sa pensée tout le bien qu’il pourrait en sortir, non seulement pour notre pays, mais pour l’Europe, car monsieur de la Jade d’Eau était un européiste béat, un de ceux pour qui le monde était un jardin, qu’il convenait de cultiver. Tout comme ses pairs, il s’accommodait fort bien des exigences des Saigneurs de la Phynance.

L’hôtel de Monseigneur le duc de Gazetamère avait été infesté par les miasmes de la grippe pangoline. Des gens du duc étaient tombés malades. Il fallut en toute urgence procéder à une désinfection mais la discrétion devait être de mise. Le duc avait conservé dans la bonne ville de Massalia des liens forts utiles. Ainsi avait il pu faire dépêcher tout un escadron de marins-pompiers de cette cité pour qu’ils procédassent à cette besogne. Las ! Le Sieur Teutonique, le Très Grand Intendant de Police de la capitale, qui avait les yeux et les oreilles qui traînaient en tout lieu -rien n’échappait à sa belliqueuse circonspection -, eut vent des menées du duc de Gazetamère. Il en fut très colère, on se défiait de lui. Il le fit savoir. L’affaire fut révélée par le Volatile Muselé, mais on ne sut comment elle se termina pour le duc et son compère.

Quelques beaux esprits s’ennuyaient fort pendant le Grand Confinement. Parmi ceux-là, la duchesse de l’Ide-Aligot, dont le pimpant fondement occupait toujours le fauteuil de bourgmestre de la capitale. Du côté de celles et ceux qui se paraient du titre de « nous les premiers », faisant ainsi écho à la verbeuse allocution qu’avait prononcé Notre Disruptif Cabotin, dans laquelle il avait appelé à « se réinventer, moi le premier », on entendait bien prendre part à cette réinvention et l’on s’adressa pour ce faire au Roy lui-même. Du passé faisons table rase, glosèrent ces importants, appelant Sa Tyrannique Exclusivité à user désormais de « démocratie ». Tout le reste de la missive était du même tonneau. On trouva parmi ceux qui apposèrent leur signature au bas du parchemin quelques membres de la Faction de la Marche. Y avait-il de la sédition dans l’air ? A la Chambre Basse, les députés des oppositions fulminaient. Ils avaient réclamé un délai afin de pouvoir prendre connaissance de l’édit du Grand Déconfinement. Cela leur fut sèchement refusé. Messieurs les ducs d’Anfer, d’Amonbeaufisse et un de leurs comparses de la Faction du duc de Béarn, en accord avec Notre Despotique Bibelot, en avaient décidé tout autrement.

Chronique du 28 du mois d’avril, quelques heures après les annonces…

Où il est question d’annonces qui n’annoncent rien, de fausses ouvertures, et d’achèvement…sans oublier les nécessaires ablutions des mains…

Monsieur de la Flippe, duc du Havre, ci-devant encore Premier Grand Chambellan, s’adressa donc au pays. Cela aurait pu s’intituler « La non-annonce faite aux Riens et aux Riennes », tant il n’y eut jamais de discours pour lequel on pensa après coup en savoir moins qu’avant qu’il n’eût été prononcé. Tout avait été pourtant claironné, avec force roulements de tambours en sus. Le moindre détail du plan du Grand Déconfinement avait été visé par Notre Sourcilleux Maitre des Horloges lui-même, assisté de celui qui était désormais partout, le Chevalier d’Alanver, ainsi que du mystérieux baron du Cachesex. Un Conseiller du Roy s’en alla commérer auprès des gazetiers : « ce qui sera annoncé sera du très très lourd. » On eut le loisir d’apprécier tout le poids du verbiage confié à la bouche du Grand Chambellan.

La réouverture des gymnases était repoussée aux calendes de juin, mais tout cela, comme le reste, n’était qu’ hypothèse qui serait examinée en temps voulu. Pour les moyennes escholes, qu’on appelait aussi collèges, on n’en savait rien de plus que ce qui avait été ourdi par le le Grand Chambellan à l’Instruction. Mais les escholes, les petites, celles qui accueillaient les bambins, réouvriraient le onze du mois du mai. Ainsi en avait décidé le Roy. Le Grand Chambellan exécutait. L’affaire était on ne peut plus claire : il fallait déconfiner le labeur, donc déconfiner les Riennes, lesquelles étaient pour l’heure au foyer à s’occuper de leurs marmots. Le plan était en vérité d’une simplicité biblique : les petits contamineraient leurs maîtres, puis leurs grands frères, lesquels contamineraient à leur tour leurs maîtres des collèges, et l’on finirait enfin par ceux des gymnases. Ainsi dégraissait-on le mammouth.

Le Grand Chambellan à la barbe mitée enjoignit toute la population de l’industrieuse Starteupenéchionne à ce que chacun et chacune fabriquât son propre masque. On le ferait faire aux bambins des escholes, cela serait une saine et utile activité. Les galopins des collèges, pour qui il serait obligatoire de le porter, en recevraient un en don. Ils pourraient ainsi sainement se divertir et en faire un fol usage quand leurs maitres en seraient à mesurer les distances entre eux, et à les empêcher d’engloutir les alcoolats qu’on ne manquerait pas de placer dans chaque salle de classe. Quant aux plus grands, on avait décidé de surseoir à la réouverture de leurs escholes car il était fort à prévoir que l’on aurait épuisé les réserves des dits masques quand on en arriverait à leur tour. Il était déjà à l’étude de remplacer l’épreuve de français du baccalauréat par une épreuve de couture. Pour ce qui était du reste, les cafés et autres lieux de débauche restaient fermés. Il était interdit de se rassembler à plus de dix quidam, en tout lieu, sauf bien entendu dans les escholes où l’on avait enjoint de constituer des groupes de quinze bambins, tout du moins jusqu’à la fin du joli mois de mai, étant entendu que par la suite, on reviendrait à la norme, qui était d’entasser autant de marmots que l’on pouvait dans une pièce qui n’aurait jamais suffi à contenir les escarpins de la Reine-Qu-On-Sort. Une aide pour les plus démunies des familles serait versée telle une obole, laquelle serait vite déboursée pour l’emplette d’une boite de ces précieux masques, que l’on commençait à voir se vendre à prix d’or. Notre Martial Bibelot n’avait-il point dit que le pays était en guerre ? Comme dans toute guerre, il y avait donc des profiteurs, que la fielleuse petite madame du Panier-Ruché encourageait tant qu’elle pouvait, appelant cela « l’esprit d’innovation ».

Monseigneur le duc du Havre eut cette phrase magnifique : « notre politique repose sur la responsabilité individuelle », qui était la négation ultime de l’état de nation face aux risques encourus par tous en ces temps de grande épidémie. Le principe de l’ablution des mains, sur lequel s’appuyait toute la politique de prévention des miasmes, devenait ainsi l’axiome ultime de la gouvernance de la Starteupenéchionne : Notre Délicat Blanchisseur s’en lavait les mains par avance. Il n’était responsable de rien, même s’il était coupable de tout. Il en allait tout autre pour le Premier Grand Chambellan et ses comparses, qui devraient un jour prochain répondre de leurs actes. Dans la barbe de monsieur le duc du Havre, les mites s’activèrent comme les industrieuses qu’elles étaient, le temps leur était compté. Pour achever cette toile de maître qu’était cet édit du Grand Déconfinement, il fut annoncé que l’on formerait des brigades spéciales afin qu’elles œuvrassent à repérer les contaminés, lesquels seraient munis d’une clochette et emmenés dans des maladreries.

Quand son tour arriva de s’exprimer devant le Premier Grand Chambellan, Gracchus Mélenchonus s’emporta et parla des «injonctions odieuses » qui étaient faites aux maitres des escholes, lesquels étaient mis en demeure de choisir entre leur propre santé et leur sens du devoir. Monsieur le duc d’Anfer, pressant d’ un « achevez » des plus comminatoires et méprisants ce tribun qu’il haïssait de finir son envolée, laquelle était fort peu du goût du Premier Grand Chambellan – on le vit comme de coutume lever les yeux au Ciel, l’implorait-il ? -, et alors qu’il était tenu de par sa noble fonction à un devoir d’exemplarité, cet homme plein de fiel et de morgue, se croyant fin et spirituel et voulant se gausser, s’autorisa cette petite sentence  : « achevez, car c’est nous que vous achevez ». Gracchus Mélenchonus, s’il pouvait parfois se montrer dur d’oreille, l’entendit parfaitement et s’étonna que l’on pût en ces temps si troublés se trouver le goût de badiner et de faire des bons mots. A ce personnage tout gonflé de son pouvoir, mais qui oubliait comment il lui avait été conféré – de façon tout à fait inconsidérée, il faut bien en convenir, ce duc avait son fief en terres finistériennes, au bout de la péninsule de l’Armorique – le tribun rappela qu’en toutes choses, le peuple n’était point le problème, mais la solution. Pendant ce temps, des médecins lançaient l’alarme : voilà que les miasmes s’attaquaient aussi aux bambins. Mais il ne fallait surtout pas qu’il en fût question dans les lucarnes magiques, cela aurait risqué de gâter le bel effet du plan de déconfinement des escholes que monseigneur le duc de La Blanche Equerre, revenu en grâce, s’en était allé présenter après les non-annonces du Premier Grand Chambellan à la barbe mitée.

Dans les chaumines, l’écœurement le disputait à la rage. Fabriquer des masques ? Cela réveilla l’ardeur de certaines des Riennes dont les aïeules avaient été tricoteuses, en un temps pas si lointain, quand il s’était agi de courir sus au boulanger, à la boulangère et au petit mitron…

#ChroniqueDuRègneDeManu1erDitLeMarmiton

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