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Chroniques du règne de Manu 1er dit le Chromatique.

Chronique du mercredi 22 du mois d’avril de l’an de disgrâce 20..

Où il est question d’une certaine couleur, d’agronomie guerrière et d’excuses lointaines…

Notre Lipochromique Bibelot, la mine plus hâlée que jamais – il venait de passer plusieurs heures sous des flambeaux et avait avalé moult flacons de la drogue secrète de son grand ami Donald – avait convoqué, par le truchement de la lucarne magique, les émissaires des cultes auxquels on avait rajouté, pour ne point être accusé de bigoterie, quelques missionnaires laïcs, afin de « réfléchir à la cohésion morale du pays face à la crise ». Sa Mystique Altitude avait prié monsieur le duc de Gazetamère d’assister tel un poireau à l’entretien. Pendant deux longues heures, les prélats de l’Eglise Vaticane soulevèrent toutes les difficultés qu’il y avait à poursuivre le culte en période de confinement. On rouvrirait donc les escholes, mais point les chapelles et les cathédrales ! Il fut intensément question de spiritualité, qui était en vérité le seul remède aux maux que le Ciel nous envoyait. Ainsi fut-il. Tout au plus un de ces dignes évêques évoqua-t-il la grande pauvreté qui sévissait dans tout le pays. Notre Malveillant Tartuffe n’en avait cure. Il était encore tout auréolé des intenses et riantes minutes qu’il avait passé en tête-à-tête avec Dieu lui-même, qui s’incarnait comme chacun le savait, dans le Grand Ensoutané. Cela avait été un moment de familiarité chaleureuse, le sujet s’y prêtant tout à fait. Sa Mondaine Hospitalité, le sourire épanoui, avait convié son grand ami le saint homme à venir lui rendre visite sous peu, lorsque lorsqu’on ne parlerait plus de cette fâcheuse grippe pangoline, laquelle gâtait absolument tout marivaudage et autre batifolage. Il tardait à Notre Bisouilleux Monarc de renouer avec ses pratiques coutumières.

Gracchus Mélenchonus avait tonné contre ces entrevues, et avait proféré, à l’encontre de Sa Séraphique Petitesse, ces mots : «  cet homme doit être convoqué sur le plancher des vaches ! ». Il ne pensait pas si bien dire. Notre Turbulent Bambin avait projeté, pour le lendemain de ce jour ô combien faste pour lui, de s’envoler en aéroplane pour la lointaine Armorique, après avoir dûment chapitré ses Chambellans sur leurs pensums de déconfinement. Aucun de ces dignitaires n’avait été autorisé à accompagner Sa Grande Déroute dans son déplacement. Pendant que le Roy irait discourir botanique et agronomie en temps de guerre avec quelques manants armoricains, les Chambellans étaient priés d’œuvrer d’arrache-pied afin que le onze mai fût un feu d’artifice. Notre Poudreux Visionnaire le voyait ainsi : un jour faste, un « daydee » ainsi qu’il l’avait confié à des gazetiers tout ouïe et confits en dévotion.

Monseigneur le duc de la Blanche Equerre s’était figuré être le meilleur élève de la classe des Chambellans. Il avait par le truchement d’une lucarne magique, délivré la veille son plan d’attaque, devant le comité chargé des affaires culturelles de la Chambre Basse . Pourquoi les affaires culturelles, s’étaient oiseusement demandé certains. On ne le savait et peu importait. Le résultat était là. On en était resté coi : comment tant d’ingéniosité, du sens de l’à-propos, de précision, avaient-ils pu s’incarner avec autant d’éclat dans la personne de l’ancien Grand Inquisiteur Rectal ? Le prodigieux canevas de son projet de déconfinement tenait en quatre mots : distance-présence-étude-jeux d’extérieur. Les bambins se retrouveraient tour à tour et en même temps dans ces endroits, leurs maîtres pareillement. Tout avait été organisé minutieusement par le duc, jusqu’au nombre des plumes d’oie dont on garnirait chaque pupitre, ainsi que le nombre de pouces entre ces pupitres. Les effectifs ordinaires seraient partagés en trois demi-groupes, monsieur de la Blanche Equerre ayant par la même occasion décidé tout uniment de promulguer une réforme de l’arithmétique.

Cet homme de ressources avait pensé jusqu’à la façon dont on allait se sustenter : si les réfectoires n’y suffisaient point, on ouvrirait des gargotes sous les préaux. Pour éblouissants qu’ils fussent, les plans de Monseigneur de la Blanche Equerre n’en suscitèrent pas moins quelques questions, oiseuses naturellement. Pourquoi donc le onze du mois de mai, redemandèrent sottement certains. Le duc, qui n’avait appris cette date que quinze petites minutes avant l’allocution de Notre Unique Timonier, répondit « c’est la date que nous a fourni l’académie des Sciences de la Germanie ». De la Germanie ? Aucun parmi les gazetiers-nourris-aux-croquettes ne releva cette mention. D’aucuns parmi les maitres qui avaient pieusement écouté les paroles magiques du duc eurent quelques doutes : comment donc, il n’y a pas d’académie des sciences chez nous ? Pas de comité de savants ? Pas de société scientifique ? La question resta pendante. Pourquoi donc la Germanie ?

Devant toutes ces excédantes questions, l’ancien Grand Inquisiteur Rectal coupa court et envoya paître les importuns : les offices de la Malportance s’occuperaient de tous ces ennuyeux détails, province par province. Ce débonnaire camérier rajouta fort aimablement : « il n’y a pas que la grippe pangoline qui fait des morts. » Las pour lui, le lendemain, il fut tancé d’importance par les gens du Premier Grand Chambellan, monsieur du Havre. On avait trouvé ses annonces « hasardeuses ». Hasardeuses ? Mais n’était-ce point le qualificatif dont avait usé ce diable de Gracchus Mélenchonus pour qualifier le choix de cette date du onze mai par Sa Neigeuse Autorité ?

Pendant ce temps, la Chambellane aux Balances, la marquise de la Belle-Loupée, abusant de ses pouvoirs, interdit à deux députés des Insoumis de poursuivre leurs missions. Ainsi Monsieur Bernalissus ne put-il se rendre compte de l’état des geôles du pays, et madame Chaibus fut-elle exclue manu militari du tribunal où l’on s’interrogeait sur les manigances d’une firme dont les profits avaient cru aussi vite que les morts de la grippe pangoline dans notre beau pays. Sa commère la duchesse de La Bornée s’en allait partout serinant que la priorité était de « reprendre le labeur ». La brouillonne douairière de la Peine-En-Ecot ordonna pour ce faire aux Inspecteurs du Labeur de n’être point regardants et de laisser libre cours à l’ardeur des maitres des forges, lesquels entendaient bien n’avoir plus aucune limite pour ce qui était d’exploiter les bras des laborieux. Enfin, Monsieur d’Amombeaufisse, chef de file des Dévôts du Roy à la Chambre Basse, ne voyait pour sa part aucune utilité à user du vote afin de faire approuver les mesures prises par Notre Malévole Potentat. A quoi bon ? Tout était si juste, si pesé, si mesuré, si calculé, si pensé avec tant de bienveillance !

« Je tiens à m’excuser profondément envers le peuple pour toute cette confusion. J’en prends la responsabilité. » Ainsi s’exprima le Premier Grand Chambellan de l’Empire du Soleil Levant. Dans ce pays, cent trente six personnes étaient mortes des suites de la grippe pangoline. On venait de refermer les escholes qu’on avait voulu rouvrir trop rapidement. Des maitres et des élèves avaient contracté les miasmes. Dans notre pays, plus de vingt mille Riens et Riennes avaient perdu la vie. On estimait le chiffre réel plus élevé. Mais on s’apprêtait, car tel était le bon vouloir et le caprice de ce Prince, qui n’était qu’un jouet entre les mains de ses Très-Chers-Amis, à offrir au virus de nouvelles proies. N’en mourraient que les plus malades.

#ChroniquesDuRègneDeManu1erDitLeChromatique

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