Poster un commentaire

Chronique du règne de Manu 1er dit l’Enfumeur.

Chronique du 14 du mois d’avril de l’an de disgrâce 20..

Où il est question de larmes (fausses), d’inventaire, et d’enfumage.

Le baron de Béssélézieux exultait. Obtenir l’oreille de ce Prince, qui n’aimait rien tant qu’on le flattât, qu’on l’encensât et qu’on lui fît miroiter l’occasion de faire accroître l’éclat de sa renommée, fut chose aisée. Non content d’avoir été de toutes les audiences, monsieur de Béssélézieux s’était présenté au Château, alors que Sa Frivole Altesse en était aux essayages de l’accoutrement de Sir Winston. « Que Votre Majesté me pardonne, dit cet homme plein de ressources, mais cet habit ne vous sied point, endossez-donc celui de ce maudit tribun, empruntez-lui aussi ses mots, prenez là-dessus un ton doucereux et éploré, mais de grâce, sire, enjoignez à tous ces fainéants des maitres de retourner dans les escholes, ainsi nous pourrons remettre tout le monde au labeur. Les maitres garderont les marmots puisque nous ne pouvons plus les faire descendre dans les mines. Nos fortunes fondent, ce n’est point acceptable. Nos partisans prennent des risques insensés. Agissez, Votre Majesté, nous saurons vous en être infiniment reconnaissants, nous vous l’avons déjà prouvé par le passé. » Ce discours fut plus qu’entendu. Il trouva écho dans les méandres de la pensée jumelle de Notre Complexe Raisonneur. Les mots susurrés par le baron furent retranscrits sur le parchemin du discours, lequel serait déroulé par des laquais rompus à l’exercice. On avait aussi mandé une interprète en langue des signes, afin que personne ne pût perdre une miette de la parole royale.

Sa Lacrymale Phraséologie se présenta devant ses sujets, l’oeil vide, l’habit baillant aux épaules – cette carrure, toujours cette carrure ! – mais la mine comme passée au brou de noix, à moins que ce ne fût à la poudre utilisée par son grand ami Donald, Empereur des Amériques, alors que dans les chaumières, avec le confinement, on avait un teint de navet ou d’endive. On commença par une doucereuse pommade lénitive. La mine faussement compassée, Notre Soporeux Lecteur énuméra les maux du pays, allant même jusqu’à évoquer les pauvres qui vivaient dans des logements étroits et insalubres. Dame Bireguitte était une piètre maîtresse de comédie, il n’y avait nulle flamme de sincérité dans le verbiage. Quand il fut question de « nos efforts », on commença à s’échauffer chez les Riens et les Riennes. Voilà que Sa Poudreuse Mythomanie se comptait au nombre des braves envoyés au front ! On en vint ensuite aux seconds de ligne, dans un plaintif inventaire qui ne convainquit que les plus béats, car il s’en comptait encore hélas. Le reste fut à l’envi. Point d’argent pour les hôpitaux, les louanges suffisaient bien assez. On devait continuer de se confiner « strictement » – avis étant ainsi donné à la maréchaussée de ne point se restreindre sur les amendes et coups de bâton – mais ô miracle, le onze du mois du mai, on ré-ouvrirait les escholes ! Notre Langoureux Imposteur argua pour cela qu’il fallait mettre fin aux inégalités subies par les enfants des classes laborieuses. Pour assurer la sûreté des maîtres et de leurs élèves, on organiserait les choses « différemment ». Comment, nul ne le savait. Sa Fumeuse Hypocrise ne le précisa point. Les maitres s’en étranglèrent dans leur maigre potage. Comment donc, on les envoyait eux aussi au front ? Jusques là ils avaient été placé en réserve, en « télélabeur » autant qu’il leur avait été possible de le faire. Mais voilà maintenant qu’on leur confiait une mission de la plus haute importance : faire se répandre ces maudits miasmes afin qu’on pût atteindre à cette chimérique accoutumance qui était l’horizon du baron de Béssélézieux et des siens. Il en crèverait sans aucun doute quelques-uns, les plus vieux, cela résoudrait fort heureusement la question des pensions.

Les cafés et autres lieux où l’on pouvait s’esbaudir après une dure journée de labeur resteraient fermés jusqu’à nouvel ordre. C’était là des lieux où l’on accueillait du public, contrairement aux escholes. Les étudiants pouvant se garder tout seuls, on ne réouvrirait point les facultés. Quant aux masques, aux écouvillonnages et aux remèdes, il en fut vaguement question. On fournirait des masques « grand public », on n’écouvillonnerait que celles et ceux qui présenteraient des symptômes d’atteinte. Comme ceux-ci étaient des plus divers, et que les marmots, qu’on soupçonnait d’être les meilleurs véhicules des miasmes n’en présentaient aucun, on était sûr de pouvoir pallier à l’absence des bâtonnets nécessaires. Quant aux réquisitions et autres planifications réclamées à grands cris par ces maudits Insoumis, Notre Médiocre Illusionniste en évoqua brumeusement la « possibilité ».

Pour achever la tromperie, Sa Sirupeuse Fausseté s’essaya à la philosophie : « cela nous rappelle que nous sommes vulnérables » – les Riens et les Riennes se souvenaient bien amèrement qu’avant que ne déferlât sur le pays les miasmes, la grande occupation de ce prince avait été de leur gâter leurs Vieux Jours – avant que de produire un meaculpa des plus artificiels. Il fut question de bâtir un autre « projeeeet » dans « la concorde », alors même que la Chambre Basse fumait encore sous les coups du Quarenteneuftroit. Notre Mielleux Marcheur entendait désormais ouvrir un « autre chemin » dont il entendait naturellement être le premier de cordée. On termina en apothéose par les mots du tribun tant honni, « les Jours heureux ». Cela résonna comme une sinistre et ultime provocation.

Le baron de Béssélézieux exultait donc. Ses plans fonctionnaient à merveille. Las ! Le lendemain, quelques voix discordantes se firent entendre. Ce fut d’abord monseigneur le duc de Gazetamère qui fit savoir que cette date du onze mai n’était en rien une certitude, mais un horizon. Monseigneur le duc de la Blanche Equerre émit à son tour quelques réserves : le retour dans les escholes ne se ferait pas obligatoirement à cette date. Il fallait voir et s’organiser. Que ces mots étaient vils ! Les savants, que l’on entendait tant et plus, ne pipèrent mot. Avaient-ils été seulement consultés ? Quant aux maitres des escholes, une fois revenus de leur abattement, ils s’interrogeaient sans relâche. Pourquoi donc le onze mai ? La réponse leur fut fournie par la gazette de monsieur Plénus Mustachus : c’était la date où l’on fêtait les espèces menacées.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :