Chronique du lundi suivant Pâques, en l’an de disgrâce 20..
Où il est question de parole divine, d’un certain tribun et de bruyantes méditations…
Le monde était suspendu en attendant la révélation divine. Notre Cireux Babillard allait s’exprimer. Des lèvres royales sortiraient la vérité, le remède, la guérison des écrouelles, le retour de la prospérité et de l’être aimé. Sa Primesautière Petitesse avait fait moult essayages de panoplies et autres déguisements, afin de choisir ce qui siérait le plus avantageusement à l’édification de sa geste. Les gazetiers-nourris-aux-croquettes étaient à l’affût de la moindre indiscrétion. Tout devait demeurer secret. Et le désir s’accroît quand l’effet se recule avait un jour écrit le grand Corneille : les Conseillers avaient reçu consigne de suivre cette maxime mais « en même temps » – selon la disruptive et complexe pensée de Notre Sauveur Suprême – de laisser échapper quelques indiscrétions bien choisies, de sorte qu’on savait déjà beaucoup avant même que le spectacle ne commençât. On apprit ainsi que Son Infatuée Fanfaronnade avait jeté son dévolu sur le costume de Sir Winston Churchill – il y avait de sérieuses difficultés quant à la stature, toute l’habileté des valets de pied et des tailleurs n’en viendraient à bout – et qu’Elle avait distingué, entre tous les courtisans et courtisanes qui s’étaient empressés de venir proposer leurs services, deux éminentes duchesses, lesquelles s’étaient remarquablement illustrées dans ce domaine, jusqu’à en devenir les parangons de l’obséquiosité, de la brosse à reluire et de la lèchecuterie : ainsi donc madame de l’Aile-Griffe et madame du Chiendent se prosterneraient-elles devant Notre Divin Biquet, lui tiendraient-elles le crachoir et l’encenseraient-elles. Que les heures paraissaient longues en attendant cet instant historique !
Bien que tout eût été mis en œuvre pour réduire à quia l’opposition – on entendait par là principalement ces maudits Insoumis – voilà qu’ils bougeaient encore ! Pire, ils s’exprimaient. Et au premier lieu desquels leur chef, le tribun Gracchus Melenchonus. Un gazetier-nourri-aux-croquettes, monsieur de la Bade, s’était avisé d’inviter quelques jours auparavant, par le truchement d’une lucarne magique, ce séditieux à venir causer là où il tenait salon, en compagnie de monsieur de l’Antipatit, un gazetier fort hargneux et qui professait à l’encontre des Insoumis en général et de Gracchus Mélenchonus en particulier, une détestation sans pareille. Parmi la caste de ces gazetiers fort bien vus à la Cour, on n’aimait rien tant qu’à soumettre ce tribun à la question, en lui coupant la parole, en lui posant de sottes et perfides interrogations destinées à le faire sortir de ses gonds. On disait tant et plus sur Gracchus Mélenchonus qu’il en était devenu une sorte de noire légende, qui faisait trembler ou ricaner, quand on n’en médisait point. Ce tribun avait participé au Tournoi de la Résidence Royale, non pour aller s’asseoir sur le trône royal, mais pour rétablir la République, la Sociale, celle du grand Jaurès, son maître à penser. Tout avait été écrit dans une brochure, l’Avenir en commun, et c’est muni de cette brochure que Gracchus Melenchonus avait de fort belle manière concouru au Tournoi. Il ne l’avait point emporté, mais il avait fait craindre le pire à la caste de la Phynance et à l’Eglise du Saint-Capital.
Dans le cossu petit salon de monsieur de la Bade, il ne fut point question du Vénézuela, monsieur de l’Antipatit resta coi, et Gracchus Mélenchonus put développer sa pensée. Cet homme était érudit, et il aimait à émailler ses discours de références littéraires que le commun partageait, car cela avait été enseigné dans les escholes, pour lesquelles ce tribun professait beaucoup d’amour. Il fut cette fois question d’Antigone, laquelle avait montré avec éclat que le devoir humain peut être supérieur à la loi. Il fut aussi question d’ « amodiation » de la loi du confinement, afin que les vieillards ne mourussent point de désespoir. Gracchus Mélenchonus était un fervent partisan de l’annulation de la dette, convoquant à l’appui de ses propos l’Histoire elle-même. Le manque de masques dans notre pays – où plus grand chose ne se fabriquait, on avait mis bien des machines à la ferraille – était l’exemple même de la « clochardisation » dans laquelle nous entraînaient les folles politiques qui avaient préféré le profit, encore et toujours le profit, à l’être humain et ses besoins.
Dans les chaumières, les Riens et les Riennes continuaient de ronger leur frein. Madame de Sitarte, si prolixe d’ordinaire, ne s’égosillait plus sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur. Les gens de monseigneur le duc du Havre, lequel était aussi bien silencieux, firent savoir avec grand sérieux qu’on avait prié tout le gouvernement de « resserrer » sa parole, dans l’attente du verbe divin. Il ne restait plus qu’à écouter de rechef le Chevalier d’Alanver expliquer doctement, avant que le confinement ne fût décrété, que c’était le confinement qui provoquait la circulation des miasmes. D’aucuns se laissaient aller à de bas instincts et dénonçaient leurs voisins. D’autres encore – mais c’était en réalité les mêmes- apposaient sur les portes des logis des nurses des libelles leur demandant de faire leurs malles afin de ne point propager les miasmes dans les habitations de leurs voisins. La maréchaussée pourchassait les désobéissants, sous les prétextes les plus futiles. Ces dignes brigadiers appliquaient la loi de façon encore plus servile que de coutume, le mot « discernement » ayant été rayé définitivement des dictionnaires de la Starteupenéchionne. Il se méditait, au fond de certaines chaumines, de se mettre au balcon au moment de la grande allocution de Notre Sautillant Messie, et de produire du vacarme.