Chronique du 6 du mois d’avril de l’an de disgrâce 20..
Où il est question de mascarade, de déguisements, de privilèges et la vérité selon une certaine duchesse…
Dans le temps que la Reine-Qu-On-Sort distrayait son ennui en jouant à la bonne dame de charité, son divin époux, Notre Facétieux Garnement, s’amusait à prendre des poses avantageuses, revêtu des différentes panoplies -généralissime, médicastre, pilote d’aéroplane, empereur de la galaxie …- qu’il avait fait confectionner à ses mesures, mais, quelle que fût l’habileté des tailleurs que l’on avait requis au Château, ces défroques baillaient toujours. C’était surtout la carrure qui n’allait jamais. Sa Mesquine Petitesse n’en avait point.
Des voix s’élevaient ici et là pour réclamer que l’on désinfectât les rues comme on l’avait vu faire au Royaume des Fils du Ciel. On pourrait ainsi se préparer au déconfinement, vaste dessein pour lequel monseigneur le duc du Havre avait quelques jours auparavant nommé un nouveau Chambellan, le baron de Cachesex, un homme que l’on disait fort habile. Ces insolentes suggestions furent balayées comme on avait balayé celles concernant les masques, lesquels, après avoir été considérés comme inutiles, étaient en passe de devenir obligatoires. Mais il fallait d’abord s’en procurer, et en grand nombre. On vit une nouvelle fois comment la Main Invisible de Saint-Marché faisait des miracles. Un richissime Fils du Ciel, qui possédait moult manufactures, avait fait coudre par ses ouvrières-esclaves une grande quantité de ces petites « barrières » et s’apprêtait à les vendre à notre pays. Las ! Un autre richissime personnage, sujet de Donald le Dingo Empereur des Amériques, arriva ventre à terre et déposa aux pieds du Fils du Ciel une malle pleine d’or . Il offrait plus du double de la somme promise par le Chevalier d’Alanver. Il emporta la mise et fit ramener la précieuse cargaison dans son pays. En Starteupenéchionne, on fit mine de s’offusquer. Comment un tel affront se pouvait-il arriver ?
Il en allait de même avec la potion magique du docteur House, alias le professeur Klorokine, le savant de Marseille. Des médicastres chaque jour plus nombreux demandaient que l’on pût appliquer cette médecine, sans attendre que les malades fussent trop mal en point. Las ! la Savante en chef du comité des Savants de Notre Turpide Phraseur, madame des Combles, continuait de faire la lippe. Cette digne femme, à la mise fort peinturée, arborant cet air fort pénétré et empli de componction qui sied aux savants, continuait de seriner que les études de son éminent confrère n’étaient point rigoureuses. Mais il se disait que la belle-fille de Sa Navrante Duplicité, la propre fille que Dame Bireguitte avait eu d’un premier lit, avait été soignée par la médecine du docteur House. On disait encore qu’une brigade de braves sapeurs avait été dépêchée au Château afin d’en désinfecter le moindre cabinet. Ce qui était bon et légitime pour nos Pipolesques Altesses ne l’était évidemment pas pour le commun. Il se murmurait enfin que les Saigneurs de Bique-Farma, lesquels possédaient les fabriques où s’élaboraient en quantité les remèdes et les médications, destinées non pas tant à soigner qu’à leur rapporter des fortunes, voyaient d’un très mauvais œil cette potion magique du savant de Marseille. Elle ne coûtait pas grand-chose, le brevet ne rapportant plus rien ou si peu. Il ne fallait point que la maison de Bique-Farma se retrouvât en souffrance, comme celle de Tautale, laquelle s’occupait de commercer le combustible des charrettes, des aéroplanes et des navires. Dans cette période de confinement, c’était la disette qui guettait cette grande et noble maison ! Ses princes se firent plaindre mais dans le même temps, on apprit qu’ils avaient généreusement distribué de substantiels profits à leurs détenteurs de lettres de change, et qu’ils s’apprêtaient à recommencer. Tout juste ces nobles et miséricordieux bienfaiteurs avaient-ils fait œuvre de charité envers les nurses en leur délivrant des billets à ordre afin qu’elles pussent acheter du combustible pour leurs modestes véhicules.
Madame de Sitarte ne se tenait plus de joie. Son confinement n’avait été que de pure forme. Son Ethérée Altitude lui avait confié une mission qui seyait à ravir à ses multiples talents : elle œuvrait désormais au sein d’une brigade, laquelle avait pour mission de traquer les faqueniouses et d’organiser ce que Madame de Sitarte appelait « la bonne information ».
Dans le royaume de Grande-Bretagne, alors que son Premier Chambellan avait du être emporté à l’hôpital pour y être soigné de la grippe pangoline, la vieille Queen Elizabeth, drapée dans une robe vert printemps,et emperlée comme une châsse, s’adressa à son peuple. Elle gratifia ses sujets d’une tendre allocution. Cette souveraine, qui avait connu enfant la guerre, la vraie,et le terrible Blitz de Londres, n’employa nulle rhétorique guerrière, contrairement à Notre Martial Freluquet. Elle eut simplement ces mots : « Les beaux jours vont revenir, à nouveau nous serons avec notre famille, nos amis » qui firent se sentir aux Riens et aux Riennes, pour la première fois de leur vie, l’envie d’être des Angliches. Avec la grippe pangoline, tout pouvait arriver.