Chronique du 6 du mois d’avril de l’an de disgrâce 20..
Où il est question de dogme, d’autel et de finesse d’esprit.
Jamais la duplicité et l’hypocrisie de nos princes ne parurent avec autant d’éclat que durant cette terrible épidémie. « Rien ne sera plus comme avant » avait promis Notre Perfide Bonimenteur lors de sa première allocution. « Rien ne sera plus comme avant », ces mots résonnèrent dans les têtes des médecins et des nurses du front de l’Est lorsque le Premier Grand Chambellan et son âme damnée le Chevalier d’Alanver firent annoncer que lorsqu’on en aurait fini avec cette épidémie, on congédierait bon nombre d’entre eux, sans les payer de ce qu’ils avaient travaillé en sus, et qu’on transformerait une partie des hôpitaux en hostelleries de luxe. Ceci se ferait dans toute la Starteupenéchionne, on confierait les menées de ces établissements aux Saigneurs de Braque-Croque, lesquels possédaient déjà moult manufactures et autres bons placements à taux d’usure dans notre pays. On apprit ainsi que la manufacture de bonbonnes d’air, dont Gracchus Mélenchonus et les siens demandaient qu’elle passât dans le giron de la nation, était la propriété de ces mêmes Saigneurs. Les gens étouffaient de la grippe pangoline? Il y avait des écus sonnants et trébuchants à gagner ! Monseigneur le duc du Havre avait opposé à la requête du chef des Insoumis une fin de non-recevoir, arguant qu’il n’y avait là qu’ « idéologie ». Celle à laquelle le duc obéissait servilement lui-même le menait sur le chemin de la forfaiture. Les yeux des Riens et des Riennes se désillaient. Ils comprenaient que Sa Vaniteuse Duplicité ne poursuivait qu’un but : servir les intérêts de Ses Très-Riches-Amis, lesquels l’avaient fait gagner le Tournoi de la Résidence Royale. Peu importait que cette grippe fît des milliers de morts, protéger le Saint-Capital primait sur tout le reste.
Il apparaissait de plus en plus au grand jour que le gouvernement de Notre Martial Freluquet, en ne prenant pas d’emblée les mesures qui s’imposaient pour empêcher que l’épidémie funeste n’atteignît notre pays, avait fait le même pari que sir Boris The Yellow, lequel présidait aux destinées du Royaume Grand-Breton: laisser-faire. C’était là le dogme de l’Eglise du Saint-Capital et de son apôtre, Saint-Marché. C’était au nom des préceptes de Saint-Marché qu’on avait depuis quelques dix années dépecé et dégraissé l’hôpital public. On ne répondait plus à la demande, on faisait à la place « des offres de soin » qui devaient obéir à une autre règle infrangible : la rentabilité. L’affaire des masques illustrait à merveille la foi aveugle de nos princes dans le dogme du Saint-Capital. Au nom des « économies », ces offrandes sans cesse déposées sur l’autel de ce dieu vorace et insatiable, Sa Dévotieuse Majesté -alors qu’Elle n’était encore qu’un des Chambellans du roi Françoué dit le Mou, en charge du Trésor du royaume -, avait ainsi remporté la joute qui l’opposait à la Chambellane de la Mal-Portance, afin de savoir s’il convenait ou non de renouveler les provisions de masques de la réserve sanitaire. Notre Zélé Thuriféraire avait gagné, on n’avait point dépensé un liard pour ces emplettes inutiles.Après son accession au trône, il avait bien entendu poursuivi ses adulations et mis toute son ardeur à servir son dieu, par la grâce de qui il était devenu roi.
Le duc de Gazetamère, ce frais annobli qui avait conservé de sa torve jeunesse passée dans les quartiers interlopes de la bonne ville de Marseille des allures de margoulin – il apparaissait toujours en public le poil négligé, la mise lâche -, bredouilla qu’il renouvelait toute sa confiance au Sieur Teutonique, ce petit roquet hargneux qui se croyait un dogue. Au Château, on pressentait les émeutes et on savait pouvoir compter sur le zèle de celui qui avait martelé avec un insupportable petit sourire en coin que son travail n’était pas de « lister des problèmes » mais de « trouver des solutions ». De solutions, il ne connaissait que les coups de trique et les tirs d’arquebuse.
La Reine-Qu-On-Sort, Dame Bireguitte Ravalée de la Façade, avait enfin trouvé à tromper son ennui dans ce retranchement forcé. Elle avait appris qu’une prétendue comédienne, mademoiselle Bécassina dite La Matuvu, laquelle n’était en réalité qu’une écervelée qui s’était fait connaître sur une Lucarne Magique par ses répliques d’une finesse et d’un esprit sans pareils ainsi qu’une anatomie des plus naturelles, avait fait don à l’hôpital d’une poignée d’écus qu’elle venait de gagner à la loterie. Que la donzelle eût de la générosité, cela était fort louable, qu’elle le fît savoir sur la place publique en arguant de sa « notoriété » -dans sa cervelle bien légère, elle se voyait grande et généreuse mécène- , l’était bien moins mais ce fut pourtant la raison de la distinction dont la gratifia la souveraine. Mademoiselle Bécassina, flattée que cette Reine pour laquelle elle concevait une admiration sans bornes, la félicitât, se rengorgea, le fit savoir et les sots – il s’en trouvait hélas beaucoup pour se laisser attraper par ces miroirs aux alouettes -, de s’esbaudir.
Ainsi en allait-il en Starteupenéchionne, ce pays cul par dessus tête où la sottise et la vanité se voyaient récompensées, et où le dévouement vous menait au cimetière.