Chronique du 9 mars de l’an de disgrâce 20…
La marquise de La Courge, qui avait fait vœu de sacrifier sa propre vie à celle de Sa Divine Arrogance, s’en trouva fort mal récompensée. Lors du Conseil des Chambellans, la marquise, qui avait en charge la Chancellerie de l’Egalité entre les Riens et les Riennes, prit la parole afin d’exposer ce qui allait se passer le 8 mars, date à laquelle depuis des décennies, les Riennes arpentaient les pavés pour crier haut et fort qu’elles étaient toujours aussi maltraitées, elles qui supportaient plus de la moitié du ciel. Notre Cassant Martinet l’interrompit brutalement, lui conseillant de revenir la semaine suivante, avec un discours qui correspondît davantage à ses désirs qui étaient des ordres, nul ne devait en douter.
D’aucuns furent ébranlés par cette admonestation, à moins qu’ils ne se réjouissent que cette intrigante ne se fît quelque peu malmener. Ils allèrent se répandre auprès des gazetiers friands de ce genre de ragots, lesquels se précipitèrent au chevet de la marquise. « Comment, madame, est-il vrai que le Roy vous a souffletée en public ? « Que nenni, susurra notre chère sainte et martyre, tout ceci est fort exagéré. Sa Divine Minutie craignait que je ne fusse trop diserte, ce n’est qu’un ajournement. Et ces bavards sont de sottes gens, ce qui se dit au Conseil ne doit en sortir. »
Las ! Il était écrit que madame de la Courge allait une nouvelle fois mettre à l’épreuve son abnégation. Le 7 mars, veille de la grande manifestation, des Riennes occupèrent le pavé des rues de la capitale. Le Sieur de Teutonique, cet impitoyable commodore en charge de la maréchaussée, ordonna que l’on réprimât férocement ces femelles enragées, ces séditieuses du camp ennemi. Les argousins, qui n’étaient point reconnus pour être d’ardents défenseurs de la cause des Riennes, ne se le firent pas dire deux fois. Ils jouèrent allègrement du bâton et de la matraque, et se firent un grand plaisir de tirer par les cheveux, par les membres, ces maudites bonnes femmes « qui devaient sûrement avoir leurs règles ».
Les scènes furent immortalisées. Les gazetiers firent mine de s’en offusquer. On fit venir la marquise. On la mit à la question. Sitôt que les faits furent connus, la première intention de notre fausse suffragette avait été de protester et d’en appeler au duc de Gazetamère, afin qu’il admonestât le Sieur de Teutonique.
Las ! Le soir même, la marquise renia ce pour quoi elle était prétendument engagée. Elle expliqua que ces vétilles s’étaient déroulées « en marge » – c’était là un des « éléments de langage » dont usaient et abusaient les Dévôts- et que ces Riennes que l’on avait certes quelque peu bousculées n’avaient tout simplement point suivi « le tracé de la manifestation ». Il fallait ajouter à cela que la maréchaussée ne s’en était prise qu’à quelques enragées, qui n’avaient qu’une chose en tête : s’opposer à Notre Petit Patriarche. Il suffisait. Elles n’avaient récolté que ce qu’elles avaient semé.
Notre sainte et martyre espérait bien rentrer en grâce auprès de Sa Cynique Infatuation. Si apostasie il devait y avoir, ce ne pouvait être qu’envers cette cause qu’elle prétendait défendre par ailleurs. Servir Notre Nuageux Monarc était le seul et unique but qu’elle s’était fixé.