Chronique du 20 février.
La bassesse et la médiocrité ne trouvèrent jamais tant à s’illustrer que sous le règne de Notre Vil Monarc. Dans ce grand cul-par-dessus-tête qu’était la Startupenéchionne, les vertus devenaient vices, et les vices vertus grandement prisées. Ainsi monsieur le duc de Gazetamère – qui venait d’être anobli, lui qui était de basse roture- s’employa à se faire remarquer de son suzerain en faisant montre de ce pour quoi on le gratifiait. L’affaire de l’épée du petit duc de Grivoit occupait les gazettes à longueur de temps. Toute la cour était unanime pour se lamenter : le royaume vacillait ! Il fallait agir pour couper court à tous les ragots, lesquels étaient bien entendu la conséquence d’un odieux complot ourdi par le tsar Vladimir.
Tout ceci -bien que la taille de la dite épée fût conséquente – était fort exagéré. Il se trouva des opposants pour flétrir l’inconséquence de monsieur de Grivoit. Qu’il aimât à astiquer son engin, pour en mesurer les dimensions, pouvait s’entendre, mais que diable, cela ne devait pas sortir des cabinets !
Le chef de la Faction de la Rose, le duc de la Fore, fut un de ceux qui fustigèrent sévèrement « la légèreté incroyable » de l’infortuné briqueur. Monsieur de la Fore trouva là matière à se faire entendre, lui dont on peinait à savoir s’il se situait dans l’opposition dure ou dans le mol appui, à moins que ce ne fût l’inverse. Mal lui en prit. Sur une Gazette parlée, le duc de Gazetamère s’étonna de ce que ce monsieur de la Fore osât donner des leçons de morale, lui qui avait – aux dires de celui qu’on appelait aussi Rantanplan- divorcé moult fois et qu’il avait fallu accompagner, ce qu’il avait fait avec la grandeur d’âme qu’on lui connaissait. Monsieur de la Fore et lui étaient anciens compagnons d’armes, du temps où monsieur de Gazetamère servait encore la Faction de la Rose. Le gazetier-nourri-aux-croquettes en resta coi. Le Chambellan aux Affaires de l’Intérieur – car telle était la charge du duc de Gazetamère- venait tout benoîtement de faire une révélation des plus intimes sur un des personnages publics du pays, ceci alors même qu’il était de ceux qui brocardaient le plus haut et le plus fort les révélations des frasques du petit duc de Grivoit.
Monsieur de la Fore en fut estomaqué. En d’autres temps, cette pitoyable affaire se serait réglée sur le pré. Elle se continua platement devant les gazetiers, dans la salle des pas perdus, à la Chambre Basse. En réponse, le duc de Gazetamère plastronna qu’il n’avait jamais fait la moindre attaque « personnelle », ni laissé entendre la moindre menace. Il alla même jusqu’à présenter des « excuses », auxquelles personne n’accorda crédit. De crédit, d’ailleurs, ce personnage n’en avait plus aucun, mais il restait Chambellan parce qu’il illustrait à merveille les vertus cardinales en honneur à la Cour, au nom desquelles il était toujours prêt à s’adonner aux basses-oeuvres, choses qu’il avait appris à merveille du temps de sa trouble jeunesse, dans la bonne ville de Massalia. Il se disait qu’il avait été fort proche de quelques bandits notoires et qu’il y avait appris les bonnes manières.
Le duc de Gazetamère avait un émule pour ce qui était de la bassesse : monsieur le duc de Ranfer, ce haut dignitaire du royaume qui présidait aux destinées de la Chambre Basse. A l’instar de Rantanplan, monsieur de Ranfer avait lui aussi servi dans la Faction de la Rose. Il avait trempé dans moult affaires louches, dont il avait cependant réussi jusque là à s’extirper sans dommages. Il s’était enrichi, il avait trahi et c’est tout naturellement qu’il avait fait allégeance à Notre Grandiloquent Tyranneau. Il avait rondement mené sa barque et avait succédé au Perchoir au petit duc de Ruge-It, lorsque ce dernier en avait chu, après son indigestion de homards. Monsieur le duc de Ranfer, tout comme madame de Dit-Aille, duchesse de Sibête, honnissait l’opposition. Pourquoi tolérer une opposition, puisque, Sa Totale Exhaustivité représentant l’alpha et l’oméga, il ne pouvait donc y avoir d’opposition ? C’était juste là perte de temps.
Le duc ne perdait donc jamais une occasion pour humilier les « opposants ». Lorsque l’ une de ces fieffées insoumises réclama que la Chambre Basse observât une minute de silence pour la pauvre infirmière qui avait succombé sous le couteau d’un fou, et alors même que l’ensemble des députés présents ce jour-là accédaient naturellement à ce qui relevait de la plus normale humanité, le duc de Ranfer, ajoutant la cruauté à la bassesse, interrompit brutalement ce moment de recueillement. Il fit encore davantage : il se justifia. Ce n’était qu’une Rienne, une simple nurse ! où allait-on si on devait observer pour cela une minute de silence ? Les mots se marquèrent en lettres d’infamie chez bien des Riens et des Riennes justement, et bien plus encore dans les âmes de celles et ceux qui pleuraient une épouse, une fille, une amie, une sœur, une compagne de labeur. Notre Cynique Jouvenceau avait confié à Madame de la Buse le soin d’achever l’hôpital public, déjà bien mis à mal sous les règnes du roi Nico-dit-Les-Casseroles, et de l’ineffable roi Françoué-dit-Le-Scoutère. Elle y était presque parvenue. C’était de cela dont était morte la jeune infirmière. Mais aux âmes basses et médiocres, cela était insignifiant. Monsieur de Ranfer dormit sur ses deux oreilles après cette glorieuse saillie.
Ainsi en allait-il en Startupenéchionne. Plus vous étiez vil, bas et médiocre, plus vous étiez bien en cour.