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Chronique du règne de Manu 1er dit le Sourd.

Chronique du 28 décembre

On était entré dans les derniers jours de l’année, ceux que l’on appelait naguère, dans les riantes années de la vieille République, « la trêve des confiseurs ». Mais en cette toute fin de l’an de disgrâce deux mille dix neuf, troisième du règne de Sa Piteuse Lâcheté, il n’était point question de trêve. Les maudits Engiletés – qu’on n’avait pas réussi à écrabouiller, même si les argousins et la maréchaussée y mettaient toute leur ardeur, on en eut encore la preuve ce samedi-là – se joignirent aux Guildes de Laborieux. Les rues de la capitale se remplirent de tout un peuple en rage, qui réclamait du pain et le retrait de la maudite réforme des Vieux Jours, laquelle subissait, au fur et à mesure des revendications des différents corps de métiers, des exceptions. On exemptait tous ceux qui, par leur colère, pouvaient nuire à la bonne marche du pays : ceux qui pilotaient des aéroplanes, ceux qui les guidaient depuis le sol, et surtout ceux qui maniaient le bâton. Les autres seraient les dindons de la farce. Notre Poudré Baratineur avait allégué qu’il fallait mettre fin aux « régimes spéciaux », voilà qu’on créait à leur place des « régimes spécifiques ».

Son Implacable Fermeté l’avait claironné depuis l’Afrique : il n’y aurait point de trêve pour le gouvernement. Las ! La marquise de La Bornée, Chambellane aux Transports, l’entendit d’une toute autre oreille et, même si les maudits cheminots continuaient vaillamment leur grève sans trêve, elle se fit transporter en aéroplane, avec toute sa famille, dans le royaume du Maroc, afin de se faire dorer la pilule qu’elle avait couleur endive pendant le reste de l’année. On assura du côté de ses laquais restés à la Chancellerie, que Madame la Chambellane était joignable à tout moment. L’affaire fit grand bruit. On dépêcha sur les Lucarnes magiques les seconds couteaux de la Faction de Notre Intrépide Marcheur, afin d’assurer sans trêve la mission de pompiers du régime. Une partisane de monsieur le duc de Veauquiller, élue à la Chambre Haute, vint prêter main forte à nos vaillants marcheurs. Elle pérora qu’il y avait beaucoup de Riens et de Riennes modestes qui prenaient un aéroplane pour se rendre à leur labeur. On débita ainsi des stères et des stères de fadaises et de sottises, à en donner le tournis. La petite duchesse de Bergeai participa à cette mission avec la fraîcheur ingénue et la candeur à toute épreuve qu’on lui connaissait. Elle asséna à l’un de ces gueux enragés que lui et ses semblables n’obtiendraient rien. Elle se crut obligée la pauvrette, croyant sans doute que son interlocuteur était non seulement sans dents, mais aussi sans oreilles, de répéter cette petite phrase. A moins que ce ne fût un essai de mise en pratique de la méthode Coué.

La fébrilité régnait effectivement en Startupnéchionne. Sa Grandeur En Déroute n’écoutait plus personne. Un Grand Chambellan, sous couvert d’anonymat, alla se confier à une gazette. Il narra amèrement que Notre Sépulcral Mal-Entendant ne remerciait même plus ses fidèles. A dire vrai, c’était l’inverse qui eût été étonnant. Un Roi, que dis-je, un Empereur de la trempe de Sa Neigeuse Altitude n’avait pas à remercier ses laquais.

Le Château était devenu le palais des courants d’air. Notre Poudreux Pétochard, à son retour d’Afrique, n’avait pas supporté l’idée d’y revenir, et il s’était transporté avec la Reine Qu-On-Sort dans sa chaumière de Brégançon. Ses Conseillers y froissaient du papier brouillon : il fallait préparer la traditionnelle allocution du 31 décembre aux Riens et aux Riennes. Sa Morgueuse Suffisance n’avait nulle envie de s’adresser à un peuple aussi vil, un peuple de réfractaires, d’alcooliques et d’illettrées, un peuple méprisable qui ne méritait pas d’avoir un tel astre à sa tête.

Dans sa bonne ville de Lyon, le vieux duc de Colon n’observait pas non plus de trêve. Il se sentait épié jusque dans son entourage. Il fit ainsi renvoyer quatre des officiers affectés à sa sécurité. Il avait obtenu la preuve que ceux-ci rendaient compte de tous ses faits et gestes, jusqu’au moindre des de ses pets, au Grand-Caniche-Méchant de Sa Majesté, le sieur Casse-Ta-Mère. Il régnait une ambiance des plus chaleureuses dans la Faction de la Marche.

Il n’y eut pas de trêve non plus pour la duchesse des Charentaises et du Poitoutou. Notre sémillante et pétulante duchesse avait été nommée par Notre Cireux Bibelot – qui entendait ainsi se débarrasser de cette infernale solliciteuse – ambassadrice auprès des Pôles. Las ! La banquise en état de fonte n’intéressait nullement la duchesse qui n’avait du mot « pôle » qu’une seule conception : sa personne. On ne la vit jamais s’asseoir avec les autres ambassadeurs dans les igloos. La Chambre Basse s’émut de ce que la soi-disante ambassadrice auprès des pingouins ne se servit des moyens mis à la disposition de sa charge à des fins toutes personnelles. Elle fut convoquée afin de rendre des comptes. « Ils ne savent pas quoi faire pour me faire taire ! » pesta-t-elle. La duchesse s’imaginait encore et toujours qu’elle avait un destin à accomplir et que le bout du chemin était proche. Pour l’heure, ce fut celui de Canossa qu’elle dut emprunter.

La colère était grande parmi le peuple. Les Riens et des Riennes, comprenaient chaque jour davantage à quelle mauvais sauce ils allaient être cuisinés : celle de la misère. Les Très-Riches n’en avaient cure. Monsieur de Piètre-Exquis, le nouvel ordonnateur à la Réforme des Vieux Jours avait cette implacabilité des porions si chère naguère aux Maitres des Forges. Ce grand laquais venait ainsi de refuser la clause de la pénibilité du labeur. « Vous êtes fatigués ? Changez de métier ! » claironna ce zélé serviteur de la Caste des Saigneurs. Il n’y avait point de trêve pour le mépris en Startupnéchionne.

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