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Chronique du règne de Manu 1er dit Le Barbouilleur

Chronique du 9 décembre.

Le 5 de ce mois de décembre, des foules de Riens et les Riennes avaient battu le pavé pour dire à Notre Insensible Saigneur tout le mal qu’ils et elles pensaient de son « projeeeet ». On n’avait point encore entendu aucun des Chambellans affirmer qu’ils restaient « droit dans leurs bottes ». Monsieur de la Darre Manain, qui entendait remplacer Monsieur du Havre, dont l’usure commençait à se voir, alla parader sur une Lucarne Magique pour fanfaronner que la réforme se ferait. Dans les chaumières, les Riens et les Riennes se disaient que la tête de Monsieur de la Darre Manain serait du plus bel effet au bout d’une pique, tout comme d’ailleurs celle du baron de La Voille, dont on avait fort opportunément appris qu’il vivait grassement d’émoluments qui auraient suffi à nourrir chaque mois plusieurs familles de Riens. Une gazette révéla que, non content de se faire coquettement rémunérer pour sa besogne sur la Réforme des Retraites, ce baron – que l’on disait très balourd, feu le bon roi Chichi dit Pétaud 1er ne l’appelait d’ailleurs que le grand Khon – était le bénéficiaire de plusieurs retraites- et, cerise sur le gâteau, administrait soi disant « bénévolement » un institut de formation d’assureurs, lesquels entendaient bien, à la faveur de cette réforme, mettre la main sur le pactole auquel les Riens et les Riennes participaient chaque mois de leur dur labeur. Sommé de déclarer ses activités, le baron avait « oublié » de mentionner cette promiscuité. On fit semblant de s’excuser. Monsieur de la Voille démissionna de sa besogne d’administrateur. Mais Notre Admirable Jouvenceau lui renouvela sa confiance. Il restait le grand ordonnateur du sinistre projet d’exaction contre l’intérêt du peuple.

Ce fut trop. Les Riens et les Riennes s’étranglèrent de rage. Comment ? Ce à quoi s’adonnaient joyeusement Sa Turpide Majesté et ce vilain baron était tout bonnement une gigantesque rapine. On ouvrait grand les portes du pays aux Grands Saigneurs de la Phynance, tout en endormant de fallacieux discours leurs futures proies. Deux de ces prédateurs furent d’ailleurs reçus en grande pompe au Château. On leur déroula le tapis rouge. Ils reçurent moult assurances de la part de Notre Petit Aigrefin que la machine était bien engagée et que les argousins, à qui on avait quelques promesses de ne point les soumettre à la même mauvaise sauce que le reste du peuple, sauraient bien mater tous les gueux et toutes les gueuses. On leur ferait rendre gorge ! Le redoutable chef de la maréchaussée de la capitale, le Sieur Teutonique, s’en réjouissait à l’avance. Ce sinistre personnage ne se déplaçait plus qu’en grand uniforme, cinglant tel un noir vaisseau dans la tempête sociale, comptant fanatiquement les yeux crevés et les visages fracassés. Il en espérait d’autres pour compléter son tableau de chasse.

Les Riens et les Riennes décidèrent bravement de continuer à faire grève. Monsieur du Havre, que tout ceci commençait à lasser, réaffirma qu’il irait « jusqu’au bout » et qu’il exposerait les contours de la réforme le mercredi suivant. Des arbitrages avaient été pris. Il faudrait s’incliner. L’obscur Chambellan aux Transports, le petit marquis de la Jobard, eut la lumineuse idée d’aller traîner ses guêtres du côté de la Gare du Nord. Il fut pris à parti par des cheminots qui n’avaient point oublié comment ils avaient été traités par le gouvernement de Sa Calamiteuse Liquidation. Ils rappelèrent au petit marquis dans quelle misère noire certains de ces braves étaient tombés, criblés de dettes. Cela n’émut point le courtisan qui se fit fort de rappeler qu’il s’agissait avec ce « projeeet » de « repenser la condition sociale ». En StartupNechionne, le plus insignifiant des flagorneurs aimait à se rengorger et employer le verbe disruptif. Celui-là n’eut pas le dernier mot et il dut battre piteusement en retraite sous les lazzi.

Sur toutes les Lucarnes magiques, on vouait les grévistes aux feux de la géhenne. La meute des Caniches-nourris-aux-croquettes se déchaînait, avec des frissons de peur dans la voix. Voilà que ces gueux et ces gueuses se mettaient en tête de faire la loi ? Mais où allait-on si les pauvres se mettaient à penser ? Ce n’était là que sottes gens qui ne comprenaient rien, ainsi que l’avait pompeusement énoncé Monsieur de la Blanche-Equerre. Ce dernier, après avoir tancé les maitres et maitresses des escholes, avait annoncé qu’on les rétribuerait davantage, du moins les plus méritants d’entre eux, c’est à dire celles et ceux qui lécheraient le mieux les augustes chausses de leurs inspecteurs. Il leur faudrait aussi travailler pendant les vacances. Ces fainéants avaient suffisamment tourné leurs pouces.

Qu’il était riant et heureux, le futur brossé par Notre Malfaisant Barbouilleur dans son Château en état de siège. Des cassettes débordantes d’écus pour une poignée de Saigneurs, de la noire misère pour les Riens et les Riennes. Sa Machiavélique Petitesse se réjouissait aussi d’avoir tordu le bras à la Justice pour faire condamner aux geôles et au silence son irréductible ennemi, le tribun Gracchus Melenchonus. Ce dernier déclara porter sa condamnation comme une décoration, celle du premier des Insoumis. Il n’avait volé personne, il n’avait rien fait de répréhensible. Il avait simplement haussé la voix et le col parce qu’il voulait rentrer chez lui, pendant que des argousins aux ordres faisaient main basse sur les fichiers des partisans insoumis, lesquels fichiers n’étaient jamais réapparus.

Ainsi en allait-il en Startupnéchionne, en ce début de mois de décembre de l’an de disgrâce deux mil dix neuf.

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