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Chronique du règne de Manu 1er dit le Gloseur.

Chronique du 23 janvier.

Le ridicule et le mépris ne s’étaient jamais aussi bien portés dans notre pays depuis la veille de la Grande Révolution, celle qui avait mis fin à des siècles de privilèges de l’antique aristocratie. La nouvelle, celle de ces petits barons et autres duchesses adoubés non plus par un dieu bien injuste mais par le suffrage universel, associés aux fonctionnaires formés dans la Haute École des Commis, tous issus des classes les plus huppées, tout ce petit aréopage bruissait. On s’ébaubissait, on se congratulait, on faisait des affaires, on s’engraissait. Sa Très-Haute-Suffisance, du haut de son Olympe Élyséenne, entendait bien faire cesser cette maudite Gileterie qui durait depuis maintenant deux mois. La Lettre par laquelle Notre Petit Ecrivaillon avait décidé de lancer le « Grand Palabre » avec ses vils sujets avait donc été diffusée dans les gazettes et sur les Réseaux Sociaux. Dans les foyers des Riens et des Riennes, pas grand monde ne lut les divines et complexes paroles. Personne ou presque n’était dupe. Il suffisait d’écouter les gazetier-nourris-aux-croquettes commenter ad nauseam la moindre virgule de cet amas de paroles creuses et de clichés. C’était à qui encenserait le plus la prose de Sa Sublime Platitude. La palme de la révérence la plus servile revint sans conteste à ce monsieur de Béhachelle dont il fut question dans la précédente chronique. « Éthique de la discussion façon Habermas (…), volonté générale rousseauiste convoquée dans chaque foyer. Grenelle tout azimuts. Etrange ruse de l’Histoire, accouchant peut-être d’une invention démocratique. » Comme à son habitude, ce personnage se noyait dans une insignifiance verbeuse, laquelle faisait exactement écho à celle de Notre Cireux Barbouilleur. Une phrase de cette Lettre retint cependant l’attention : « Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait. » Venant de ce Irréprochable Monarc qui n’avait eu de cesse, depuis sa victoire au Tournoi de la Résidence Royale – et même avant quand il n’était que Chambellan du Trésor – de vilipender ses sujets, les traitant tour à tour d’illettrées, de fainéants, de cyniques, de poissons, de Gaulois réfractaires, d’alcooliques, de bons à rien, de paresseux, d’assistés, cette petite phrase ne manqua pas de jeter de l’huile sur les braises fumantes du précédent samedi.

Sa Martiale Arrogance n’en avait cure. Elle allait donc entamer le Grand Palabre et partir en tournée dans tout le pays. Les festivités allaient durer deux mois. On allait noyer la jaune colère sous le flot de la bonne parole. Tout ceci n’était bien entendu qu’un grand concert de pipeau. Les gueux voulaient s’exprimer ? Qu’à cela ne tienne, on leur ferait croire qu’ils le pourraient. Mais on ne changerait rien à ce qui avait déjà été fait pour liquider ce que le peuple avait jadis conquis de haute lutte. Tout était soigneusement cadré. Notre Prince-Président continuait de penser qu’il avait été choisi pour métamorphoser la vieille République en une glorieuse StartupNéchionne. Il oubliait qu’il n’avait pu gagner le tournoi que parce qu’il avait été fort opportunément sélectionné pour affronter la marquise de Montretout, la cheffe de la faction des Haineux. Cette marquise se voyait de nouveau invitée dans toutes les gazettes. On la choyait, on la cajolait. La plus habile à ce ripolinage était madame d’Ailegriffe. Elle s’y entendait à merveille pour montrer cette marquise aux noirs desseins comme une aimable personne. Ce serait pour mieux la ridiculiser ensuite, comme cela avait été le cas lors du Tournoi. Madame de Montretout n’était dupe de rien. Elle jouait parfaitement son rôle de fausse opposante. Elle se fendit d’un cuicui cinglant pour commenter « La Lettre » : baratin hypocrite. Il faut dire qu’en la matière, la marquise en connaissait un rayon.

Bourgthéroulde. Ce fut dans ce petit village que Sa Perfide Empathie commença son Grand Monologue. Les Engiletés furent naturellement tenus à distance. Notre Joueur de Pipeau put dérouler sans jamais être interrompu sa Pensée Unique. Les gazetiers s’ébaubirent sur la performance verbeuse. Les Riens et les Riennes retinrent qu’une fois de plus, ils venaient de se faire tancer : « parmi les gens en difficulté, il y en a qui font bien, et il y en a qui déconnent » énonça pompeusement Sa Vertueuse Vanité. De ce premier concert, il ne ressortit qu’une proposition: peut-être allait-on rétablir la limitation de vitesse des carrosses à deux lieues à l’heure au lieu d’une et demi. Il faudrait bien entendu changer à nouveau tous les panneaux. Les fabricants des dits panneaux se frottèrent les mains. L’argent pouvait vraiment être magique.

La semaine fut à l’envi. Notre Glorieux Pipoteur s’en alla gloser des heures durant devant les bourgmestres de l’Occitanie. Il se gaussa lorsque l’un d’eux osa émettre l’idée qu’on ne pouvait vivre avec un revenu minimal. On apprenait au même moment que les vingt six nababs les plus opulents de la planète concentraient à eux seuls autant de richesses que presque quatre milliards de pauvres hères. Tout allait donc pour le mieux, et il n’y avait pas de raison que cela ne continuât pas ainsi . En digne émule de feu Iron Maggie, une ancienne Grande Première Chambellane du royaume britannique, connue pour sa cruelle intransigeance envers la « working class », Sa Néolibérale Ardeur était convertie depuis très longtemps à la religion du Tina dont dame Maggie avait été la très zélée grande prêtresse.

On fit faire de nouveaux carottages d’opinion. Miracle ! La cote d’amour de Notre Petit Scaphandrier remonta spectaculairement, ainsi que celle de son grand flandrin de Premier Chambellan. Le hic était qu’on ne savait jusqu’où elle était tombée auparavant. Il y avait donc de la manipulation là-dessous. Mais les gazetiers firent ce pour quoi on les payait en croquettes. Ils encensèrent.

L’acte X de la Grande Gileterie eut lieu. Rantanplan Grand-Chien-Policier de Sa Jacasseuse Majesté parla d’un « fort affaiblissement ». Il gagna le concours des Euphémismes de la semaine. Comme de coutume, on s’était livré à un étrange comptage des Engiletés. Ces derniers ne s’y laissaient plus prendre. Ils avaient désormais leurs habitudes. Ils rendirent hommage à leurs gueules cassées, aux estropiés toujours plus nombreux. La marquise de Chiappa sut alors que son moment était arrivé. Elle fit savoir qu’elle animerait, aux côtés d’un bateleur de foire connu pour sa misogynie, son homophobie et sa vulgarité – lesquelles étaient devenues des valeurs très prisées – une des ces revues dont les Lucarnes magiques usaient et abusaient pour endormir le peuple. Des voix s’élevèrent pour critiquer la bouillante marquise. C’était là mélange des genres! A quand un Conseil des Chambellans animés par ce monsieur Anounat ? La dame ne se démonta point. Elle se compara à Galilée, rien de moins. Le ridicule se portait décidément à merveille et madame de Chiappa l’arborait en sautoir.

Le lundi qui suivit, Notre Généreux Amphytrion régala le Gotha de la Phynance à Versailles, aux frais des Riens et des Riennes. Il fallait inciter ces Saigneurs à venir placer leurs montagnes d’écus dans notre si beau et si riant pays, qui le redeviendrait du moins dès qu’on se serait débarrassé de cette vermine jaune qui commençait à se propager ailleurs en Europe. Parmi ceux qui étaient ainsi reçus en grande pompe se trouvait le tenancier d’un négoce qui vendait de l’électricité, lequel négoce envisageait de mettre à la rue près de cinq cent employés, ceci afin d’augmenter encore et encore des profits déjà mirifiques. Il ne resterait plus à ces pauvres Riens et Riennes qu’à retraverser la dite rue dans l’autre sens pour trouver du travail. C’était là chose si facile, Sa Glorieuse Infatuation l’avait encore répété lors de ses discours devant les bourgmestres.

Notre Zélé Petit Télégraphiste s’en alla ensuite bisouiller comme il aimait tant à le faire les joues teutonnes de Frau Angela et apposer son auguste paraphe au bas d’un nouveau traité qui consacrait une fois de plus l’inféodation de notre pays à la religion du Tina, cette implacable doxa qui régnait sans partage sur le monde. Sa Colossale Finesse en profita pour glisser un de ces bons mots qui avaient le chic de réveiller dans le peuple de très mauvais souvenirs : « l’allemand a un charme romantique que le français ne m’apporte plus ». Les Riens et les Riennes se souvenaient encore fort bien que leur pays avait eu à subir par trois fois au cours du passé les invasions des armées germaines, lesquelles s’étaient faites dans un idiome qui n’avait rien eu de « romantique ». Pas plus que n’était « romantique » le traité que Notre Délicat Linguiste venait de signer en avouant in petto ne rien y comprendre…

Ainsi en allait-il dans la StartupNéchionne, sous le règne de Manu Premier, roi des Riches et Prince des Ridicules.

2 commentaires sur “Chronique du règne de Manu 1er dit le Gloseur.

  1. …et vivement que tes Chroniques soient reliées !

  2. Eussions-nous eu, gente dame, comme en ces temps jadis, occasion, en quelque tournoi ou joute littéraires, de mesurer nos plumes au doux jeu contradictoire du pamphlet ou de la satire, que nous eussions, à deux, formé tel acéré mélange d’expressions, contrepets et critiques à son endroit que sa sainte stupidité en eût crevé de rage, bavant et crachant ses tripes en un désordre d’organes peu ragoutant.
    Dussé-je y perdre quelque considération pour mon auguste personne, je consens à admettre que votre plume me paraît fort acérée et -n’était la dissimulation que vous en faites par un style moyenâgeux, bien digne des dames du temps jadis- m’a littéralement enchanté.
    Je vous encourage chaleureusement à continuer à ainsi gloser sur ce personnage, sans retenue ni respect.
    Peut-être alors pourrons-nous, après qu’il en eût contracté une crise de désespoir, tel un chœur antique, lui chanter allègrement… la ballade des pendus…
    Dodane

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