Préambule : tous les personnages de cette chronique sont purement fictifs, toute ressemblance avec la réalité est purement fortuite et très très très involontaire. C’est de l’humour, de l’humour, de l’humour. Amies lectrices, amis lecteurs, si d’aventure, l’auteure de ces quelques lignes malicieuses devait être embastillée, elle compte sur vous pour monter des comités de soutien.
Chronique du 23 décembre.
Toute la semaine qui suivit l’acte V de la Grande Gileterie, la Faction de Notre Pleutre Vénéré Jupithiers fut à la manœuvre pour réduire ces gueux au silence dont ils n’auraient jamais du sortir. Les pauvres avaient toujours souffert en silence. Le premier d’entre les fidèles, qui présidait aux destinées de ce parti à la Chambre Basse, le marquis de La Geandre, alla se répandre d’importance sur une gazette pour assurer que la Gileterie allait cesser sur le champ. Ce personnage était à l’image de Sa Divine Morgue. Il portait le mépris de classe en bandoulière, et son phrasé clamait sa fatuité. « Nous avons commis deux erreurs, énonça-t-il pompeusement, tout gonflé de lui-même, nous avons insuffisamment expliqué nos réformes, et nous avons été trop intelligents, trop subtils, trop techniques, dans les mesures de pouvoir d’achat. » En face, on ne releva point. Le tapis rouge était en permanence déroulé dans toutes les Gazettes afin que la complexe pensée de Celui-Qui-Nous- Guide puisse parader à sa guise.
Il fallait par tous les moyens flétrir la bonne opinion que les Riens et les Riennes avaient de la Grande Gileterie. Mais la tâche s’avérait rude. Tous n’arboraient point le gilet jaune, mais beaucoup s’en réclamaient et soutenaient la colère qui sourdait de tout le pays. Une image fit le tour de la planète : on y voyait cinq femmes, le buste dénudé et peint en gris, revêtues d’un capuchon rouge, orné d’une cocarde. Elles firent face aux gens d’armes, qui les auraient volontiers embrochées si on leur en avait donné l’ordre. C’était là un tableau vivant, allusion des plus claires à la Révolution de 1848.
Les argousins de leur côté profitèrent de ce qu’ils étaient devenus les chevilles ouvrières du maintien du régime. Comme il fallait à tout prix éviter que la fièvre jaune ne gagnât aussi leurs rangs, et qu’il ne vînt à l’idée de certains d’aller fraterniser avec ces gueux d’Engiletés, Rantanplan Chien-Policier-de-Sa-Pétocharde-Rutilante-Majesté reçut l’ordre impératif du Château de les soudoyer et de leur graisser la patte. On leur accorda sans barguigner une substantielle augmentation de leurs gages. Ceux des argousins qui étaient allés porter les doléances n’en crurent pas leurs oreilles. Mais ces largesses déplurent fortement à leurs chefs galonnés, lesquels n’avaient point été consultés. Ils firent publiquement connaître leur désapprobation. Ils parlèrent sévèrement d’« erreur d’appréciation » et de précipitation.
Ces voix dissonantes rajoutèrent encore à la cacophonie qui régnait désormais à tous les étages de la StartupNation. Il ne se passait pas un jour sans qu’une annonce ne vînt défaire ce que l’annonce de la veille avait remis en place, et vice-versa. Le retournement pouvait même se faire d’une heure sur l’autre. C’était à n’y rien comprendre.
A Dijon, un grand commis aux ordres de Monsieur de Blanche-Equerre, le Grand Chambellan à l’Instruction, s’émut de ce qu’une Rienne, professeure de son état dans un gymnase de la StartupNation, eût l’outrecuidance de publier dans une gazette séditieuse un libelle fort offensant sur notre Divin Timonier. C’étaient les Services Secrets qui avaient alerté la Chancellerie à l’Instruction. On tança d’importance l’impudente, on la menaça de révocation. Le Grand Chambellan, Grand Dignitaire de la StartupNation venait de promouvoir une loi qui allait faire rentrer dans le rang tous les professeurs, lesquels n’étaient pourtant, à l’exception de quelques uns, que de doux agneaux. Il allait désormais régner dans les écoles, les collèges et les gymnases un ordre tout militaire On ne devait plus entendre une seule voix discordante. Chaque matin, les maîtres feraient chanter aux élèves une ode à la gloire de Sa Splendide Eminence. Son portrait figurerait dans toutes les salles de classes. Les professeurs ne boiraient plus leur café – boisson sans laquelle aucun d’eux ne pouvait assurer leur sacerdoce- que dans des tasses à l’effigie de Notre Bellissime Précepteur. Ils devraient bien entendu acheter sur leurs deniers cet objet. C’était là une astucieuse manière de liquider les stocks qui encombraient la boutique de souvenirs du Château, stocks que l’on devait à monsieur de GrosBras, et qui étaient restés sur les bras des Conseillers depuis que ce barbouzeux serviteur, dont on avait suivi avec passion les aventures estivales, avait été appelé à d’autres fonctions.
Le nom de ce personnage revenait sur le devant de la scène. Son affaire était mollement instruite par la Justice. On le questionna sur l’image qui avait circulé, où on le voyait pointer sa pétoire sur la tempe d’une accorte servante, alors qu’il assurait la sécurité de Notre Futur Champion lors du Tournoi de la Résidence Royale. Monsieur de Grosbras argua pour sa défense qu’il s’agissait là d’une brave pétoire à eau, de celles dont les bambins usaient lors des joutes estivales. On en resta pantois. Comment donc, la sécurité de notre Minuscule Freluquet Bibelot était assurée par des pétoires à eau ? On apprit dans le même temps, alors que Sa Complaisante Hauteur venait de prendre son aéroplane pour s’en aller visiter un tyran de ses amis dans la mystérieuse Afrique, que monsieur de GrosBras se trouvait précisément chez ce même tyran deux semaines auparavant et qu’on l’avait vu en grande conversation avec le frère de ce sulfureux despote. Le vieil adage « Barbouzeux un jour, barbouzeux toujours » venait de trouver là une énième et brillante illustration.
La Reine-Qu-on-sort méditait. Elle était conseillée en cela par une de ses grandes amies, celle à qui l’on devait les glamoureuses images du futur couple princier lors de la campagne du Tournoi de la Résidence Royale, celle à qui l’on devait la métamorphose de monsieur de GrosBras, en un mot comme en cent, la Reine-Qu-on-sort prenait conseil auprès d’une sulfureuse magicienne. La chute de son Divin Myrmidon se poursuivait inexorablement dans les carottages d’opinion. On avait beau user de carabistouilles, inverser les chiffres, las, la réalité était là. Sa Splendeur Déchue ne pouvait plus faire d’apparitions publiques et s’offrir ces bains de foule tant prisés. Les déplacements se faisaient désormais en mode furtif. Il fallait agir . La Reine-Qu-on-sort se confia à une de ces gazettes mondaines, de celles qu’on était forcé de feuilleter lorsqu’on attendait pour se faire soigner dans une salle d’attente bondée de scrofuleux et de catarrheux. Elle était horrifiée par les violences ! Non point celles que les gueux subissaient, non ! C’est la vue d’un sac Vuitton lacéré et mis en pièce qui avait bouleversé Notre Bergère Poudrée et l’avait convaincue qu’il lui faudrait bientôt s’adresser au peuple pour l’enjoindre au calme. Cela se ferait dans l’une des Lucarnes Magiques du Service Public de la Propagande.
Les Engiletés, malgré le pilonnage de la propagande sur les Gazettes, ne désemparaient pas. Pire, leur colère se renforçait encore. L’acte VI eut lieu le samedi 22 décembre. De Toulouse à Bordeaux en passant par Marseille, on n’entendit qu’un seul cri dans les rues « La dissolution, c’est la solution ! ». Tous en appelaient à la démission de Notre Sanglant Persécuteur Bienveillant Souverain. Un mannequin à son effigie fut même décapité. Les Engiletés en vinrent aux mains avec les argousins, qu’ils mirent en fuite, non sans que l’un de ceux-ci ne dégaine sa pétoire. Il y eut aussi dans les rues de Paris un gigantesque jeu de cache-cache. A Versailles, où l’on attendait des hordes de gueux, Rantanplan Chien-Policier-de-Sa-Majesté avait fait déployer des troupes de gens d’armes. Mais en vain. Aucun Engileté n’ y pointa le nez. On les retrouva à Montmartre, où l’on fit arrêter leur chef, manu-militari. On le mit aux fers. Tout engileté était désormais considéré comme un ennemi de la StartupNation.
Le réveillon de Noël approchait. La Faction de Notre Divin Enfant publia un opuscule à fins de défense de l’action du gouvernement pendant les agapes. On pressentait déjà que les quelques crédules qui croyaient encore aux promesses de Sa Charitable Générosité, allaient finir la soirée comme un certain Gaulois réfractaire qui s’entêtait à chanter faux. Quant aux autres, aux Très-Riches-Amis, les seuls bénéficiaires de Notre Grand Ruissellement, ils ne se commettaient point avec ceux d’en-bas. On restait dans l’entre-soi. On y ferait couler le champagne à flots. La vie était belle.
la réalité étant à pleurer, ça fait du bien d’en rire un peu ! Mais n’oubliez pas que » no’t jeune maitre » est, comme Louis 16, l’otage de sa fricocratie ! Ni que parmi ces gueux, comme en 1789, il y a beaucoup de petits bourgeois qui ont fait plus d’études que « no’t jeune bon maitre », et ayant beaucoup mieux connu « son bon peuple », ont, grâce à la non-indexation sur le coût de la vie, vu leurs salaires et retraites très fortement diminués ! Sans compter les petits commerçants, artisans, paysans, pêcheurs, PME, dont les clients de plus en plus pauvres n’assurent plus le chiffre d’affaire minimum ! Bien sûr, les gazettes de nos bons maitres nous diront que c’est le progrès qui oblige les grands commerces à faire crever tous ces gueux, l’excellente mondialisation sans taxes d’importations aussi ! Ces gueux et bobos n’ont rien compris,alors que très bientôt nos bons maitres si intelligents, feront ruisseler sur nous des quantités de leurs finances si durement acquises !