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Chroniques du règne de Manu 1er dit le Turpide.

Chronique du 25 novembre

Il se passa ce que d’aucuns, observateurs avisés de la société, avaient prédit : la première Gileterie se poursuivit de façon permanente pendant la semaine et connut un nouveau pic le samedi, sur les Champs Elysées. Notre Fâché Jouvenceau avait pourtant dépêché son Grand Flandrin de Premier Chambellan s’exprimer sur les gazettes de la première Lucarne Magique au lendemain de la première grande manifestation de ces gueux enragés. « J’entends les souffrances » avait pompeusement énoncé le duc du Havre, « mais je maintiens les taxes dont le niveau sera diminué à la fin du premier règne de notre Bien-Aimé Souverain. » Il ajouta même « le cap est bon, nous allons le tenir. » Cette surdité donna l’occasion à Adrianus Le Rouge, fougueux tribun des Insoumis de lancer cette saillie : « le gouvernement entend tout, mais ne comprend rien. » Sa Sourdingue Seigneurie avait d’ailleurs fui la StartupNation et s’en était allée chez sa grande amie Frau Bertha, la Grande et Teutonne Chancelière d’outre-Rhin, d’où il déclara, fidèle à ses habitudes de tancer son peuple de Gaulois réfractaires quand il s’en trouvait éloigné, qu’il ne souffrirait pas que Paris soit encerclée et envahie, et qu’il y ferait donner la troupe si besoin s’en ferait sentir. On était prévenu.

Les Editorialistes, cette caste de courtisans nourris très grassement aux croquettes, usaient de toute leur morgue et leur mépris pour vilipender les Engiletés. Ils mettaient en exergue quelques vilaines actions commises ici et là, et présentaient ces révoltés comme des affidés du parti des Haineux. Madame de Montretout devait une fière chandelle à ces Editorialistes. Sans eux, la marquise et les barons de sa Faction seraient depuis longtemps apparus pour ce qu’ils étaient : des opportunistes, qui prospéraient de la misère et de l’ignorance, tels des charognards. Ce que les gazetiers-nourris-aux-croquettes ne disaient pas, c’est qu’à chaque fois que certains Engiletés s’étaient laissés aller à tenir des propos haineux, d’autres les avaient contredits. Les Engiletés ne demandaient plus seulement l’annulation de l’augmentation de la gabelle, ils commençaient à écrire des cahiers de doléances d’où il ressortait qu’ils étaient fort mécontents de la politique menée depuis l’avènement de notre Petit Foutriquet, laquelle politique avait consisté à tondre les Riens et les Riennes pour enrichir chaque jour davantage les Très-Riches-Amis de sa Généreuse Reconnaissance. Ils réclamaient ce qu’ils estimaient juste : qu’eux et leurs enfants puissent vivre dignement et en bonne santé. Il était également apparu clairement à celles et ceux qui avaient revêtu le gilet jaune de la colère que les Gazettes n’étaient là que pour servir la propagande toute à la gloire  de notre Grand Ruissellement. Des gazetiers essuyèrent ici et là des quolibets. Ils décrivirent ceux qui les avaient pris à parti comme des enragés, la bave aux lèvres. Une courtisane bien en vue, gazetière sur une Lucarne Magique toute dédiée à l’édification de la Glorieuse StartupNation et de son Petit Timonier, et qui était du mieux avec Son Arrogante Certitude, s’offusqua de ce que les gueux eûssent pu monter sur Paris et se diriger sur les Champs-Elysées. Où allait-on si on laissait ces hordes de va-nu-pieds continuer leurs saccages ? Paris, le temps d’un après-midi, avait furieusement ressemblé à ce qui s’y était passé quelque cinquante années auparavant, lors d’un mois de mai resté dans les mémoires. On était même allé jusqu’à déterrer les pavés. L’air sentait fort l’insurrection.

Les Riens et les Riennes se sentaient pour leur très grande majorité solidaires des Engiletés. La Petite Chambellane adjointe au Grand Jardinier, madame de Poire-Son, avait annoncé dans la semaine que l’augmentation de la gabelle, en lieu et place de servir à rendre l’air des grandes villes plus respirable, allait essentiellement être utilisée pour compenser un manque de recettes pour le Trésor de la StartupNation. Ce manque était du à la suppression de l’impôt des Très-Riches. Ceux-ci pourraient toujours s’acheter du bon air, les Riens et les Riennes quant à eux, non seulement seraient tondus et retondus, mais seraient condamnés à payer de plus en plus cher le carburant pour leurs carrosses, lesquels leur étaient pourtant nécessaires pour se rendre sur leurs lieux de besogne. Son Altesse Emperruquée, imitant en cela une Reine-Qu-on-sort que les Sans-Culottes, ancêtres des Insoumis, avaient autrefois raccourcie, avait suggéré aux Riens et aux Riennes, qui se plaignaient de ce que le carburant devînt hors de prix, de s’acheter des carrosses à pile. Qu’il était fatigant de devoir tout expliquer par le menu à ces illettrés fainéants !

Rintintin-Chien-Policier alias Rantanplan-Chien-Fidèle-de-sa-Majesté s’était encore une fois rongé les ongles et les sangs durant cette journée, comme il l’avait d’ailleurs fait toute la semaine qui avait précédé. Notre Explorateur des Tréfonds des Carottages lui avait confié une mission : jeter l’opprobre sur ces gueux enragés et engiletés et faire apparaître, en truquant les chiffres, que le mouvement parût s’essouffler. Rantanplan s’acquitta de sa mission avec zèle, comme à son accoutumée. Il accusa ces séditieux d’affaiblir le royaume dans sa lutte contre les Assassins. Pire : ils les accusa de vouloir s’en prendre à sa propre famille ! En effet, quelques Engiletés s’étaient transportés du côté de l’hôtel particulier où il résidait, et ils avaient dégainé leurs smartrucs pour immortaliser pour la postérité leurs trognes. Quel crime impardonnable ! Pour ce qui est des chiffres, notre ineffable Toutou produisit un comptage des plus précis, à l’unité près. Las ! Il fut démenti par un syndicat d’argousins en colère qui annonça un nombre élevé de gilets présents dans les provinces et dans la capitale. C’était là chose fort piquante, car les argousins étaient connus pour minorer de façon quasi systématique le nombre de Riens et de Riennes à battre le pavé pour protester contre leurs misères.

Pendant ce temps, à l’autre bout du monde, au Royaume du Soleil Levant, un des Très-Riches-Amis de sa Cireuse Splendeur, monsieur de Gône, baron infatué et méprisant, général en chef d’une fabrique de carrosses, – avant d’avoir été un simple fabricant de caoutchoucs pour les roues des dits carrosses, venait de se faire mettre aux arrêts pour avoir omis de déclarer ses tas de pièces d’or sonnantes et trébuchantes au Trésor Nippon. Dans ce fier pays, on ne badinait pas avec ce qui, dans la StartupNation, relevait au contraire du mérite ! Le baron Le Mère, Chambellan à l’Economie, déclara illico que monsieur de Gône n’avait fait que voler le fisc nippon, et qu’il n’avait absolument rien à se reprocher chez nous. Eût-il eu à le faire que notre Cajoleur Petit-Frère-des-Riches l’aurait immédiatement décoré de l’ordre de la StartupNation. Sa Réminiscence de Coblentz ne venait-elle pas de déclarer qu’Elle comprenait l’exode des Très-Riches, et qu’Elle envisageait de faire appel à leur amour pour son royaume ?

Le petit duc de Tourcoing, monsieur de Darre-Manin, voulut faire un coup d’éclat pour se démarquer des autres Chambellans. A la prestigieuse université de la Sorbonne, où il discourait devant un parterre de riches Phynanciers étrangers, désireux de placer leurs écus dans la StartupNation, mais qui s’inquiétaient quelque peu de ce que le climat tournât en défaveur de leurs intérêts, il déclara à des gazetiers qu’il comprenait la colère des Engiletés, et de citer en exemple de ce qu’il était devenu impossible, pour un simple quidam, de diner correctement – sans le vin ! – dans une gargottte de la capitale, à moins de cent écus ! Avec cent écus, les Riens et les Riennes remplissaient difficilement un panier de courses pour nourrir leurs familles pendant une semaine qu’on faisait durer.

Notre Glorieux Amphytrion reçut en grande pompe au Château les mille bourgmestres du pays. Il venait d’engager de très modestes dépenses pour rafraichir les peintures des salles à manger. La Reine-Qu-on-sort lui avait judicieusement fait remarquer que les ors étaient bien ternis et que cela jurait affreusement avec la nouvelle vaisselle. Cependant, même reçus comme des princes, les bourgmestres trouvèrent à redire ; « On a eu l’impression de participer à un diner de cons »déclara l’un d’eux. Un autre compara le Château au Vatican : il fallait passer par trois antichambres avant de pouvoir accéder à l’endroit où sa Papale Petitesse recevait. « Il n’a pas daigné venir s’exprimer devant nous » conclut amèrement ce bourgmestre dépité.

A l’issue de cette nouvelle semaine engiletée, le Château fit savoir que notre Bienveillant Timonier- qui venait de déclarer qu’il avait honte de ce qui s’était passé dans la capitale, tançant vertement ses sujets – avait « en même temps » entendu la colère qui s’était exprimée. Il annoncerait des décisions de nature à calmer la populace le mardi qui suivrait. On savait déjà que sa Grandeur Inspirée avait décidé de créer une nouvelle Commission pour organiser le passage dans une merveilleuse ère verte et bien disante. On tondrait toujours les Riens et les Riennes, mais en leur administrant une médecine qui leur ferait tout accepter. Mais sans attendre ce jour faste, qui mettrait fin à cette ridicule révolte, notre Xyloglottique Avorton s’exprima : « Il faut apporter une réponse économique, sociale mais aussi culturelle et de sens à nos classes moyennes et à nos classes laborieuses. » Comprenait qui pouvait …

Au soir de ce dimanche, les Insoumis et les Insoumises étaient tristes : ils et elles avaient escompté qu’il y aurait une dix-huitième députée de leur Parti à la Chambre Basse. Un tournoi avait effectivement eu lieu dans l’ancien fief de celui qu’on avait vu s’enfuir à Barcelone, l’affreux Manu-la-Terreur, cet ancien Grand Chambellan de l’ancien roi Françoué-dit-le-Pédalo. Las ! Les Riens et les Riennes avaient fait la grève des urnes, et c’est un vieux baron roué de la Faction de sa Sirupeuse Malveillance qui avait remporté la mise. Parmi le peuple, la défiance de la chose publique était à son comble.

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