Chronique du 18 novembre.
C’est terré à La Lanterne, dans sa résidence campagnarde – qui avait été celle des rois d’avant cette maudite Révolution- que Sa Pétocharde Petitesse entendit les échos étouffés de la première Gileterie. Durant toute la journée, ces gueux de Riens et de Riennes, revêtus de ces gilets, symbole de leur colère contre la hausse de la gabelle, envahirent, qui les ponts, qui les autoroutes, qui les routes, qui les ronds points, pour crier leur colère contre notre Malveillant Freluquet. Le sieur Casse-Ta-Mère, alias Rintintin-Chien-Policier de sa Majesté, tout en se rongeant nerveusement les ongles, avait donné moult ordres pour que le comptage de ces manants ne donnât qu’un chiffre ridicule. Las ! Ce fut la Maréchaussée elle-même qui parla d’au moins un million d’engiletés, sinon deux. Les pancartes et autres placards arborés étaient on ne peut plus clairs : ils s’adressaient à notre Petit Mogol pour lui signifier de tout le bien qu’ils pensaient de sa politique. Le tribun Rufffinus leur avait fourni un beau cri de ralliement : « rends l’ISF d’abord ! ».
Bon nombre des argousins avaient bien eu envie de revêtir eux-aussi le gilet de la colère tant chez eux aussi montait la moutarde contre sa Sirupeuse Arrogance. Toute cette journée du 17 novembre, Rintintin-Chien-Policier, non content de se ronger les ongles jusqu’à l’os, avait aussi glorieusement serré les fesses. A l’issue de cette première journée, on comptait bien une victime, une Rienne engiletée qu’une autre, au volant d’un gros carrosse, avait écrasée. On plaida la panique. Du côté des Gilets, on déplora amèrement que la communication des partisans de notre Fâcheux Monarc – qui n’avaient eu de cesse de dépeindre les engiletés comme des forcenés assoiffés de sang, le couteau entre les dents- avait créé chez certains une méchante rage, laquelle s’était exercée contre celles et ceux qui n’avaient, bien au contraire, qu’usé, de manière bien pacifique, de leur droit légitime à manifester. On compta aussi bon nombre de blessés, même du côté des gens d’armes qui, lorsqu’ils n’avaient pas été occupés à taper comme plâtre sur les engiletés, avaient été pris pour cible par des enragés, excités par la propagande des amis de Notre Vénéneux Biquet. On eut aussi à déplorer quelques incidents regrettables où les Engiletés penchaient plutôt du côté des Haineux que des Insoumis, ce qui les faisait se comporter fort vilement.
Le soir même, Rintintin-Chien-Policier assura sur les gazettes que le gouvernement avait « bien entendu le message » et il enjoignit aux Engiletés de rentrer sagement à la maison. Mais le lendemain, le Grand Jardinier, le ministricule monsieur de Ruge-It se fendit tout au contraire d’un cinglant « Nous ne bougerons pas». Ce même monsieur de Ruge-It avait dans la semaine qui précédait, vertement répondu à une Rienne qui l’interpelait sur ses fins de mois qui commençait le dix, qu’elle n’avait qu’ à venir « voir le plafond de[son] bureau qui s’effondrait ». A Marseille, où l’on comptait pas moins de mille personnes délogées, déplacées – parce que leurs immeubles menaçaient réellement de s’écrouler – on trouva la saillie de fort mauvais goût. Les partisans de sa Glorieuse Débâcle étaient passés maitres en l’art de tenir des propos dont la sottise égalait la malséance.
Un courtisan très en vue, qui se faisait passer pour un philosophe, Monsieur de Laive-It, et qui comptait parmi les zélés adorateurs de notre Fanatique Mal-Entendant, se laissa aller sur le fil de l’Oiseau Cuicuiteur, à mépriser les Engiletés et à affirmer que leur mouvement était un échec. L’ineffable Monsieur de Barre-Bier, emmitoufflé comme de coutume dans sa rouge écharpe, affirma doctement : « c’est un mouvement qui connait son échec par son succès ». C’était à qui énoncerait le plus de sottises. De son côté, les opposants au régime de sa Hauteur Azurée assurèrent de leur soutien les Engiletés. Gracchus Mélenchonus parla d’ « un immense moment d’auto-organisation populaire ». Monsieur de Saint Gnangnan enjoignit à notre Petit Baigneur de changer de politique. La marquise de Montretout, qui feignait toujours d’être du côté de la populace, y alla aussi de sa petite allocution. La StartupNation tanguait tel un navire en perdition. Son Ivresse des Profondeurs descendait encore et encore dans les carottages d’opinion, lesquels étaient pourtant soigneusement trafiqués. Notre Mémoriel Errant cuicuita : il voulait désormais réconcilier la base avec le Sommet. Là où il avait échoué, il réussirait ! Son Altitude Enneigée avait de fait entamé depuis son retour des provinces un glorieux mea culpa, qui avait trouvé son acmé sur le porte-aéroplane de la flotte. Interrogé par un gazetier-nourri-aux-croquettes, qui tenait encore plus que d’habitude du laquais que du gazetier, Notre Aviateur Ethéré mit en garde les Riens et les Riennes contre ces tentatives de soulèvement populaire. Mais il n’y avait pas que cela. Sa Splendeur Avachie venait de subir une rafale de cuicuis acrimonieux de son bon ami Donald Le Dingo. Notre Magnanime Foutriquet proclama : « à chaque grand moment de notre histoire, nous avons été des alliés et entre alliés on se doit le respect. […] Je ne veux pas entendre le reste, je crois que ce que les Riens et les Riennes attendent de moi, c’est de ne pas répondre à des cuicuis.»
Du côté des courtisans et des Chambellans, on continuait fort heureusement de rivaliser de sottise et d’inconséquence. Le petit duc de Grivot fut pris la main dans le sac sur une gazette parlée, sur laquelle il pérorait comme à son habitude, à citer un insortable écrivain antisémite, monsieur Maurras, croyant – disait-il ! – citer du Marc Bloch, lequel périt atrocement à cause précisément des antisémites…Monsieur de Grivot osa un « l’erreur est humaine ». La volonté de dépoussiérage de vieilles lunes malfaisantes était pourtant de mise depuis les propos de notre Grande Errance Mémorielle sur monsieur Pétain…et monsieur de Grivot avait naïvement cru que…. La bonne marquise de Chiappa, de son côté, fut épinglée sur les dépenses de son cabinet, et l’augmentation conséquente des émoluments de ses très chers conseillers. « Ils travaillent beaucoup » répondit-elle. Les Riens et les Riennes dont les maigres appointements et pensions étaient gelés et subissaient de surcroit d’insupportables ponctions, apprécièrent la sollicitude de la marquise. Mais pourquoi la réserver à quelques conseillers ?
Qu’ils étaient déjà loin les doux moments que sa Poudreuse Altesse avait partagés avec Frau Bertha, la Grande et Teutonne Chancelière d’Outre-Rhin ! Une délicieuse vieille Rienne centenaire avait même pris Frau Bertha pour la Reine-Qu-on-sort ! L’idée germait dans la tête de notre Cynique Tyranneau : réduire la population de la StartupNation à quelques centenaires qu’on chouchouterait dans de luxueuses hostelleries. Les autres ne Le méritaient pas. Ils ne Le comprenaient pas.