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Chronique du règne de Manu 1er dit le Turpide.

Chronique du 20 octobre.

Le mardi 16 octobre de l’an II du règne de sa Jupitérienne Petitesse resterait dans les annales des Grandes Turpitudes. Ce fut le jour où notre Odieux Potentat choisit de lâcher ses reitres noirs sur ces tribuns séditieux qu’étaient les Insoumis. Sa Hauteur Piquée n’ en pouvait plus de les voir gagner des points dans les carottages d’opinion, pendant qu’Elle descendait inexorablement dans les profondeurs des enfers. Il fallait y mettre un terme, et vite. Les Riens et les Riennes oublieraient ainsi la pénible affaire du sieur de GrosBras – lequel venait de faire quelques perfides confidences à une gazette, confidences dans lesquelles cet important se permettait de comparer notre Pelucheux Roitelet à un « lapereau de six semaines » et « en même temps »  de laisser sous-entendre qu’il n’attendait qu’un signe de sa Grandeur Himalayenne pour venir lui offrir à nouveau ses services. Les Riens et les Riennes oublieraient les prix des denrées qui s’envolaient, le gaz pour se chauffer qui deviendrait bientôt aussi cher que les assiettes de la Reine-Qu-on-sort. Ils oublieraient que les pensions des vieillards se réduisaient comme peau de chagrin, que les hôpitaux fermaient, en un mot que vivre était devenu un luxe qui leur était refusé.

A la toute fin de l’été, Sa Comploteuse Hautesse avait fait recruter sur entretien d’embauche – ce fut le Premier Grand Chambellan qui se chargea de cette besogne- le nouveau Procureur de la place de Paris. On récusa les candidats proposés par les magistrats du Siège. « Le parquet à la française se doit d’être rattaché à la garde des Sceaux » énonça notre Petit Tyranneau, tout en affirmant que la Justice resterait indépendante. Comme à son habitude, sa Machiavelique Frivolité disait tout et son contraire. Les gazetiers-nourris-aux-croquettes avaient depuis belle lurette oublié ce qu’était le sens critique. Cette matière n’était tout simplement plus enseignée dans leurs écoles. On ne leur dispensait plus que la meilleure manière de cirer les richelieux et lécher les chausses, le seul savoir dont ils auraient à faire preuve dans leur profession.

Le matin même où la tant attendue fumée blanche annonçant le non moins attendu habemus ministrum, Gracchus Melenchonus fut ainsi réveillé dès potron-minet par huit gens d’armes, qu’on avait pris soin de bien exciter avant de les lâcher dans les appartements de cet Insoumis, cet ennemi que notre Insinuant Foutriquet voulait écrabouiller définitivement. Ces argousins retournèrent méthodiquement jusqu’aux chaussettes du tribun, raflant tout ce qui leur tombait sous la main. Ils agissaient là sur ordre du Parquet, lequel, en toute dépendance de la Chancellerie des Balances, avait trouvé un juge du Siège pour ordonner que l’on passât outre à l’assentiment de cet opposant pour fouiller son domicile. On enquêtait officiellement sur une abracadabrantesque dénonciation faite par une Haineuse, proche de la marquise de Montretout, et sur les comptes de campagne du tribun, lesquels avaient pourtant été validés par l’autorité désignée pour la chose. Il n’y avait rien dans ces fables – lesquelles ne faisaient pour l’heure l’objet d’aucune instruction par un magistrat – qui méritât le très dispendieux et spectaculaire dispositif que le Procureur-aux-ordres fit déployer. Cette disproportion entre les faits, sur lesquels il s’avérait que la Justice n’avait même pas matière à enquêter, et le déploiement de forces, digne d’une arrestation de grande envergure contre des bandes organisées de malfaisants, dépassait l’entendement. Ce qui était le plus extraordinaire, c’est qu’elle se faisait uniquement contre l’Insoumis et les siens. D’autres étaient aussi visés par les dénonciations fantaisistes de la Haineuse, d’autres avaient vu leurs comptes de campagne signalés, mais aucun, aucune ne fut l’objet de ce traitement de faveur.

Ce ne fut en effet pas moins d’une centaine de pandores qui furent ainsi attelés à la tâche de rafler les caleçons, les bouts de chandelles, les images relevant de la vie privée et tout ce qu’ils purent trouver, non seulement chez le tribun des Insoumis, mais également chez celles et ceux qui avaient à un moment œuvré avec lui pour fomenter une révolution citoyenne. Car enfin, c’était bien cela qui leur était reproché ! C’était là crime odieux contre la StartupNation. Et ce fut bien entendu pour contrer cet impensable dessein, pour réduire cette sédition en miettes, qu’on avait ordoné que fut fouillé l’immeuble où ces factieux complotaient. Les argousins emportèrent tous les fichiers, les notes de travail, jusqu’au moindre bout de papier. Les tribuns, sous la houlette de Gracchus Mélenchonus, s’insurgèrent contre ce qui était manifestement un coup de force. L’un des leurs fut violemment molesté par un argousin enragé qui l’aurait étranglé si le bouillant Alexus Corbius ne s’était interposé.

Vu de l’étranger, ce qui se passa ce jour-là se comprit de façon limpide : c’était tout bonnement la captation, par le Prince au Pouvoir, de tous les documents secrets de la principale faction d’opposition. Cela n’arrivait bel et bien qu’en tyrannie. Les documents pris, sans qu’aucun procès-verbal ne fût signé, se trouvaient on ne sait où, aux mains d’on ne sait qui. Être partisan du Parti des Insoumis était en passe de devenir un délit de haute trahison. Notre Détesté Suprême allait avoir accès à tous les noms de celles et ceux qui complotaient odieusement contre l’État, donc contre sa Glorieuse Personne – à moins que ce ne fût l’inverse- ainsi qu’à tous les documents secrets de ses opposants. Si pareille affaire était survenue dans la lointaine Russie du Tsar Poutinus, ou dans le terrible et sanguinaire Vénézuelaaaaaaaaaa, comment notre Turpide Régentin aurait-il réagi ? Sans nul doute aurait-il décidé d’envahir séance tenante le pays en question afin de rétablir la Démocratie…

Mais cette offensive n’en resta pas à son premier acte. On enclencha ensuite l’acte deux. Il suffisait d’actionner le dispositif de mise en marche des chiens de garde, lesquels en bons automates savants se mirent à commenter ad nauseam le moindre mot prononcé par le tribun lors de cette noire journée et celles qui suivirent, tout ceci afin de jeter le doute sur son honneur d’honnête d’homme et ses capacités à gouverner, ainsi que sur ses proches. Les gazettes à la manœuvre appartenaient toutes aux huit Grands Saigneurs de la Phynance, autrement dit la ligue des Très-Riches-Amis qui avait porté notre Cynique Marmouset sur le trône. Mais le Service Public des Lucarnes et Boites Magiques n’en fut pas de reste. Il rivalisa dans la haine et les dénonciations calomnieuses avec les machines à décérébrer de nos Oligarques. Il faut rappeler que la Grande Gouverneure du Service Public de l’Information n’était autre qu’une bonne amie de notre Sardonique Satrape. L’entre-soi n’avait jamais fonctionné aussi magnifiquement que depuis l’avènement de sa Freluquette Majesté.

Le plus acharné à cette sordide besogne fut cependant un certain Tullius Mustachus appelé aussi Tullius Plenus, un gazetier qui se piquait d’avoir été en son temps un révolutionnaire. De cette antique période de sa jeunesse, il n’avait gardé que le goût du complot, et une haine inextinguible contre Gracchus Melenchonus. Ce triste personnage se vautra dans la fange du caniveau en donnant en pâture à ses lecteurs la vie privée de son ennemi, à coup de sous-entendus des plus détestables. Il ne prouvait rien, il accusait. De nombreux et nombreuses Insoumis et Insoumises qui soutenaient la Gazette de ce perfide, gazette qu’il avait créée plusieurs années auparavant, du temps de l’accession au trône du roi Nico dit le Nabot, firent connaître leur grande désapprobation. Ils firent savoir sur les Réseaux sociaux qu’ils ne paieraient plus le moindre centime pour soutenir cette entreprise qui se confondait avec la fabrique de fange.

Ce fut donc la curée, et l’écoeurement. Grachus Melenchonus et les siens se défendirent avec panache, employant les mots qu’ils maniaient si bien. Les gazetiers-nourris-aux-croquettes n’en continuèrent pas moins leur entreprise de destruction. Delendus est Melenchonus. C’était la seule ligne de conduite. Il ne se trouva étrangement dans cette caste de laquais et de cireurs de chausses qu’un certain monsieur de Jisse-Berge, pour ne point aboyer avec la meute. Les chiens de garde n’avaient plus de mémoire. Ils avaient commodément oublié – mais sans doute était-il plus juste de dire, qu’en bons incultes qu’ils étaient, ils ne l’avaient jamais su – qu’en son temps, durant l’année enchantée où les Riens et les Riennes conquirent les congés payés, l’honneur d’un tribun du peuple fut ainsi mis en pâture par la faction très active des Haineux. Cet homme se défendit avec panache et courage, mais la meute vociférante en fit tant et plus qu’il s’épuisa et finit par se brûler la cervelle. On le pleura. A la Libération, on nomma force rues et places de son nom. Il s’appelait Roger Salengro. Gracchus Mélenchonus avait certes le cuir épais, forgé à tous les combats qui avaient émaillé sa vie. Les Insoumises et Insoumis de la vieille République firent corps autour de lui. Les Riens et des Riennes furent abasourdis devant le déferlement de la haine gazetière. Notre Turpide Potentat ne les imaginait, du haut de son Olympe Ménagère, qu’en alcooliques pour les uns et illettrées pour les autres. Ils et elles n’ accordèrent pourtant pas un point de plus au crédit en berne de son Ivresse des Profondeurs. Seul le Premier Grand Chambellan tira son épingle du jeu. On se demandait bien pourquoi, car dans le bras de fer qui l’opposait à notre Cynique Monarc, il avait perdu la partie : le grand Caniche de sa Majesté, le sieur Casse-Ta-Mère, s’était métamorphosé en Rintintin-Chien-Policier.

Car c’était là l’autre événement de ce 16 octobre. La montagne avait accouché d’une souris. La moitié du fondement du Premier Grand Chambellan avait enfin été remplacée par le servile postérieur du sieur Casse-Ta-Mère, lequel au passage aurait bien aimé être anobli, et devenir Grand Chambellan, tout comme son prédécesseur, le vieux duc de Colon. Las, notre Rintintin-Chien-Policier n’était que onzième dans l’ordre protocolaire du nouveau gouvernement. Il commença par aller parader à la Chambre Haute, où il énerva tant et plus les Vieilles Bedaines par sa désinvolture, que celles-ci se levèrent et quittèrent l’hémicycle en signe de protestation. Le grand secrétaire des aisances de notre tout émoustillé Rintintin-Chien-Policier n’était autre qu’un grand laquais condamné plusieurs fois par la Justice, et qui avait déjà occupé ces fonctions auprès du sieur de Gai-Hant, un ancien Chambellan aux Affaires Intérieures du roi Nico-dit-le-Nabot. Ce monsieur Gai-Hant était lui-même sous le coup d’une instruction judiciaire. Ce n’était pas le seul ancien affidé du roi Nico à revenir en grâce : c’était aussi le cas de monsieur de Rit-Ester, fraichement nommé Chambellan à la Culture, en remplacement de madame de Nicène, qu’on avait prié de s’en retourner rénover ses immeubles. Monsieur de Rit-Ester n’était autre que l’ancien laquais chargé de porter la parole du Roi Nico quand celui-ci s’était représenté au Tournoi de la Résidence Royale, tournoi où il avait chu au deuxième tour devant le duc de Corrèze, qui allait ainsi devenir le roi Françoué-dit-le-Pédalo ou encore le Scoutère.

Le lendemain de cette offensive pour terrasser son pire ennemi, son Arrogante Petitesse s’adressa à ses sujets dans une des Lucarnes Magiques du Service de la Propagande. Les Très-Hauts-Conseillers de notre Petit Plongeur Lui avaient conseillé d’y paraître le plus modeste possible. Le résultat fut au delà de toutes les espérances : sa Lugubre Malveillance s’exprima durant dix longues minutes, énonçant platitude sur platitude, phrase creuse sur phrase creuse, empilant les euphémismes si chers à ses fidèles, le tout dans une ambiance sépulcrale. Des Insoumis étaient passés par là et avaient volé tous les candélabres.

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2 commentaires sur “Chronique du règne de Manu 1er dit le Turpide.

  1. Je le redis une fois de plus, quelle plume ! C’est excellentissime ! Merci Armelle.

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