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Chroniques du règne de Manu 1er dit le Turpide.

Chronique du 19 septembre

Le Sieur de Grosbras, dont on avait si abondamment parlé pendant l’été, et que les partisans de la Faction de sa Nébuleuse Hauteur auraient aimé savoir au fin fond de la Patagonie, le sieur de GrosBras, ce nervi bien-aimé de notre Barbouzeux Suzerain, était de retour. Et quel retour ! La Chambre Haute, là où dormaient les vénérables bedaines de la vieille République, voulait l’entendre, ainsi que ses comparses, sur la folle journée du 1er Mai, au cours de laquelle ces inquiétants sicaires s’étaient livrés aux basses besognes de la Maréchaussée. Monsieur de GrosBras commença par refuser tout net de se rendre à la convocation qui lui avait été notifiée . Comment osait-on le prier de s’expliquer, alors même que la Justice, cette grande juste, l’avait absout ? La Grande Chambellane aux Balances, Madame de Belle-Ou-Bey, lui donna raison. A la Chambre Haute, on commença de trouver le potage fort mauvais. Cette Madame de Belle-Ou-Bey était décidément bien oublieuse des lois et des règles. On se souvenait que, dans sa déclaration de patrimoine, elle avait omis plusieurs centaines de milliers d’écus sonnants et trébuchants. Les Vénérables Bedaines, par la voix de celui qui présidait la Commission des Lois, tancèrent le prétentieux sicaire. La réplique ne se fit point attendre. Monsieur de GrosBras – Notre Poudreux Tyranneau songeait à le faire Grand Connétable de la StartupNation- eut les honneurs d’une gazette parlée. Il fit savoir fort pompeusement qu’il se rendrait « contraint » à cette odieuse convocation à s’expliquer. On l’avait menacé, d’une manière directe. Le prétentieux sicaire fustigea les vénérables sénateurs : il n’avait aucun respect pour ces « petits marquis » . Le Sieur Casse-Ta-Mère, le Grand Caniche de sa Trébuchante Petitesse, vola au secours du trouble nervi. Il accusa tout bonnement les vieilles bedaines d’être une menace pour la StartupNation, et de vouloir rien de moins que la destitution de notre bien-adoré Suzerain. Ce fut jusqu’à notre Grand Suprême qui protesta Lui-Même auprès du président de la Chambre Haute pour dénoncer « un déséquilibre institutionnel ». De mémoir de vieux républicain, on n’avait jamais vu cela … Le petit duc de Grivot, qui se trouvait toujours à portée d’un seau, ou d’une bouche d’eau, pérora qu’il eût fallu qu’ « un député de la faction de la StartupNation présidât la commission des lois du Sénat ». On avait oublié d’expliquer à ce jeune et vibrant pompier la différence entre les deux Chambres. Qu’importait ! La fougue de ce jeune duc, son indécrottable assurance en toutes occasions, son indéfectible amour pour sa Vibrante Ivresse des Profondeurs, le poussait toujours plus haut dans son zèle à défendre son Très-Cher Souverain. Sur une gazette parlée, il claironna ces fortes paroles : « partout à travers le pays, nos concitoyens constatent et plébiscitent nos actions. Les sujets de la Startup Nation ont à nouveau confiance en l’avenir, il s’est installé une espèce de relation passionnelle entre son Immense Altitude et ses sujets ».

On ne savait d’où le petit duc de Grivot sortait cette vision idyllique, mais elle correspondait fort peu à la réalité. On en eut un aperçu lors des traditionnelles Journées du Patrimoine, journées pendant lesquelles les Riens et les Riennes étaient conviés à venir admirer les ors de la vieille République, en passe d’être ripolinés aux couleurs de notre Grand Startupeur. C’est ainsi que quelques-uns et quelques-unes des sujets de sa Cireuse Majesté se mirent en tête d’aller arpenter les jardins du Château. Quelle aubaine pour notre Pipolesque Maitre qui allait ainsi pouvoir s’offrir un des ces bains de foule, cousus pour lui sur mesure par ses conseillers, ceci afin de faire voir au monde entier la jeunesse sautillante et le sourire ultrabritesque de sa Tourbillonnante Splendeur. Un Rien osa interpeller notre Divin Monarc : il était horticulteur et il ne trouvait point à s’employer. La réponse fut cinglante. Notre Grand-Conseiller-en-Chef fit comprendre à l’impudent qu’il n’était qu’un fainéant de plus, et qu’il suffisait de « traverser la rue » pour trouver à s’employer dans un café, une hostellerie ou que sais-je encore…Peu importait que le brave Rien eût fait auparavant des études pour être jardinier. Sa Méprisante Bassesse, au lieu de proposer à ce jeune homme de venir s’occuper des pelouses du Château, le renvoya sans autre forme de procès à sa triste condition de tâcheron. Tout était si simple dans l’esprit de notre Efficace DRH. La gazette la plus en vue dans le cirage-des-chausses de sa Petite Hauteur retrouva le jeune jardinier. Celui-ci expliqua sagement qu’il s’était senti fort méprisé et maltraité par notre Brutal Potentat, que des petits boulots et des tâches ingrates, il n’avait fait que cela. Il avait à peine vingt-cinq ans. Il voulait juste vivre dignement.

Est-ce tous ces Riens et ces Riennes qui se précipitèrent dans la toute nouvelle échoppe qui venait d’ouvrir au Château, échoppe où l’on proposait, à des prix édifiants, des objets à la gloire de notre Mirifique Freluquet ? Le sieur de GrosBras, de retour dans l’arène des gazettes, confia que c’était lui qui devait superviser cette activité marchande, destinée, selon le discours officiel, à amasser des écus sonnants pour rénover le Château. Lequel Château était la propriété de la vieille République à qui en incombait donc l’entretien, via les taxes et les impôts que l’on soutirait sans coup férir aux Riens et aux Riennes, en oubliant généreusement les importants qui savaient comment y échapper. On allait donc faire payer deux fois l’entretien de la Royale Demeure à ces imbéciles…

A la Chambre Basse, on avait un nouveau président : le duc de Ferre-An, lequel était pourtant empêtré dans de troubles magouilles financières qui avaient contribué à enrichir considérablement son épouse. On avait tenté d’enterrer cette vilaine affaire, on y était presque parvenu, mais voilà que des fâcheux chasseurs de corruption avaient porté plainte à leur tour. Monsieur de Ferre-An pouvait cependant dormir tranquille : avant que l’affaire ne fût à nouveau jugée, il s’écoulerait du temps. La Justice, cette grande injuste, avait ses lenteurs. Et le prétentieux duc put ainsi claironner que, s’il avérait qu’il fût mis en examen, il ne démissionnerait pas ! Ce fut avec la même fatuité qu’il affirma ne point être « le chouchou » de notre Petit Parrain, puis au sortir de sa victorieuse élection, alors que les gazetiers faisaient justement remarquer que cette charge, fort en vue, n’avait encore jamais été occupée par une femme, qu’il s’excusa « de n’être point être une dame ». Madame de La Pompe, une ancienne proche de l’ancien Grand Jardinier, en conçut un grand dépit. Elle se serait bien vue sur le Perchoir de la Chambre Haute. Quant à la marquise de Pivert, elle avait été sèchement remerciée pour son grand zèle à clore les travaux de la Commission des Lois qui avait tenté de lever le voile sur la trouble affaire du sieur de GrosBras.

La Reine-Qu-on-sort avait ses occupations. Elle ne jouait point à la bergère, mais s’en était allée minauder dans une lucarne magique, pour jouer son propre rôle, dans un feuilleton de propagande. Il s’agissait de mettre en scène d’une façon qui se voulait drôle et légère des personnes souffrant de handicaps et de claironner tout ce que le gouvernement du Divin Epoux de la Reine-Qu-on-sort avait mis en œuvre pour ces pauvres gens. Le résultat fut grotesque et humiliant, pour ces derniers, mais aussi – et c’était là chose fort peu grave en comparaison – pour la Reine-Qu-on-sort. On la vit arriver, juchée sur ses hauts talons, dans un tailleur bleu ciel – celui-là même qu’elle portait le jour de l’intronisation de notre Glorieux Suzerain – puis déposer nonchalamment son réticule dans les bras du valet de pied. Le reste fut du même acabit. C’en était navrant.

La Grande Chambellane à la Santé, la marquise de la Buse, avait dans ses prérogatives la mission d’assurer la promotion du Plan Pauvreté que sa Grande Générosité avait enfin dévoilé. Il s’agissait selon cette fidèle d’entre les fidèles de « redonner de l’espoir ». Quand on examinait ces mesures annoncées dans une surenchère de bonnes intentions – les gazetiers s’étaient fort complaisamment prêtés au jeu en louant la nouveauté renversante de ce plan – on s’apercevait qu’il allait rendre encore plus pauvres celles et ceux qui n’avaient déjà pas grand chose, et qu’il serait financé en prenant dans la poche des autres à qui il restait à peine plus. Les importants, ceux que notre Impitoyable Pourfendeur aimait à choyer, continueraient de se remplir les poches avec de l’argent magique. Lors d’une séance de questions à la Chambre Basse, la Chambellane fut interpellée par un tribun des Insoumis. Cet impertinent osa dénoncer l’injustice de ces nouvelles mesures qui selon lui n’étaient pas prêtes de faire disparaître la pauvreté. Madame de la Buse, du haut de sa morgue, l’accusa en ces termes : « Effectivement, vous n’avez aucun intérêt à ce que nous arrivions à résorber la pauvreté dans ce pays, car vous en vivez, vous vous en nourrissez ». Ces propos étaient pour le moins insultants pour le tribun, qui, avant d’avoir été élu député, vivait chichement d’une petite allocation qui l’avait empêché de sombrer dans la pauvreté la plus totale, à l’instar de millions d’autres Riens et Riennes qui n’avaient plus que ce moyen, non pour vivre, mais pour survivre. L’Insoumis dénonça le mépris de cette riche marquise. Il réclama des excuses. Il les obtint.

Le sieur de GrosBras fut entendu par les Vénérables Bedaines. Il n’avait jamais été garde du corps de notre Pétochard Roitelet. Au Château, on ne lui avait attribué que des taches administratives. Il n’était donc qu’un simple secrétaire. Certes, il était armé, mais c’était pour sa sécurité personnelle. Certes, il avait ses entrées à la Chambre Basse, mais c’était là simple caprice de sa part pour aller lire quelques ouvrages à la bibliothèque, ou faire quelques moulinets dans la salle de gymnastique. Personne ne lui posa de questions sur le mystérieux coffre-fort, sur lequel la Justice avait renoncé à en savoir davantage. Le mystère restait entier. Un commissaire de la Haute Maréchaussée avait pourtant affirmé lors d’une audition que ce que voulait le sieur de GrosBras valait demande de sa Royale Altesse. « Il peut aller où il veut. Sur un service d’ordre, c’est lui que notre Grand Monarc appelle, et non les officiers de son service de protection ». Dans la StartupNation, les fonctions de secrétaire étaient des plus variées.

6 commentaires sur “Chroniques du règne de Manu 1er dit le Turpide.

  1. Toujours aussi excellent, merci !

  2. un grand moment de détente, où le sérieux de leurs positions tranche avec le grotesque de leurs actions. Certainement dû à l’effet cassant du décalage historique, une solution pour les ringardiser. Casse ta mère…

  3. Et que va devenir Patrick Rambaud, le spécialiste des chroniques du règne de nos nouveaux monarques (Sarko et Hollande)? Il doit se faire du mouron ou porte plainte contre vous pour plagiat de concept….
    Je vous encourage à poursuivre en attendant le procès…

    • Bonjour ! Bah je ne crois vraiment pas qu’il y ait plagiat, ou alors si plagiat il y a, c’est de Saint-Simon ! et il n’est plus là pour porter plainte. 😉 Le concept a été déposé il y a bien longtemps !

      • Bonsoir Armelle.
        Je ne t’accuse de rien. C’était du second degré.
        Sinon, je te souhaite de tenir bon pendant les 4 années qui nous restent à subir ce nouveau roitelet imbu de sa personne et surtout nocif pour l’immense majorité des « Riennnes » et des « Riens » que nous sommes.
        Amitiés insoumises
        Ziane

      • Désolée, j’ai répondu de façon un peu abrupte… pas toujours facile de saisir le second degré. La référence à Rambaud est fort juste, ce sont ses géniales petites chroniques qui m’ont donné envie, mais je ne les ai pas relues depuis longtemps…et je m’aperçois que je n’en ai pas forcément très envie. Merci de tes encouragements, c’est précieux ! Collecter toutes les « turpitudes » et les narrer est un exercice de salut public 😉
        amitiés insoumises

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