Elle est assise dans la rangée la plus près de la porte, là où je l’ai placée quand j’ai fait mon premier plan de classe. Elle n’a rien dit, même si je l’ai placée près d’un garçon un peu fort en gueule. Elle a deux tresses haut placées, un petit visage sérieux. « Vous ne lirez rien sur mon visage », voilà ce qu’elle avait écrit sur la feuille de renseignements, puis effacé, le premier jour, quand la professeure principale les avait accueillis, ces petits de sixième un peu effarouchés par le collège. Car on est toujours un peu effarouché par le collège, même si on vient des cités des quartiers Nord de Marseille… « Vous ne lirez rien sur mon visage », écrit, puis effacé. Quelques mots pour essayer de dire, puis de se rétracter…Dire quoi ? Dire l’indicible, le chagrin que jamais rien n’effacera. A… , à une lettre près, c’est presque mon prénom, A…, donc, est orpheline. Je ne sais pas si on emploie encore ce nom, dans la belle société de ce début de vingt et unième siècle. Dans les quartiers Nord, oui. Je ne sais pas de quoi sont morts les parents de A…, je ne le saurai jamais, je n’ai pas à le savoir.

Comme un personnage de Dickens , A… est élevée par sa tante, une femme belle, digne, triste, que j’ai rencontrée hier, à la traditionnelle réunions parents-professeurs ( « C’est qui, ça, les parents-professeurs ?, m’ont demandé mes petites bouilles quand j’ai inscrit cette information au tableau). Je suis la tante, m’a-t-elle soufflé. Oui, ne vous inquiétez pas, je suis au courant. J’avais tout d’un coup le coeur serré, je pensais à A… et à son petit visage si sérieux. Elle est courageuse, votre nièce, elle est adorable, ai-je ajouté. Aujourd’hui, A… a levé la main pour intervenir et lire ce qu’elle avait écrit sur Yakouba, sur le choix de Yakouba qui préfère être fidèle à ses valeurs et à son honneur plutôt que de devenir un guerrier sans avoir combattu.