Un billet un peu long, mais j’avais à dire et à partager…
Vendredi 4 avril a eu lieu la première réunion du conseil municipal de Marseille, consacrée à l’élection du nouveau maire. Je ne suis que conseillère de secteur, je ne suis donc pas admise à pénétrer dans le haut lieu de la politique municipale, mais tou-tes les conseiller-es d’arrondissements étaient invité-es à venir assister, par écran géant interposé, à ce grand moment …Inutile de se faire mal, m’a répondu par texto l’un des nôtres, à qui je demandais s’il comptait y aller. J’ai pour ma part décidé de me faire mal, et j’ai donc posé comme la loi m’y autorise, une autorisation d’absence, un peu embêtée quand même de laisser tomber mes élèves. Mais la curiosité l’a emporté, et je me suis promise de rattraper les cours de cette matinée.
Je craignais vaguement, en longeant le quai du Port, de ne pas trouver immédiatement l’endroit des réjouissances. Mes craintes étaient celles d’une Candide …et en traversant la chaussée devant l’Hôtel de Ville, j’ai vite vu la foule cossue et bavarde qui se pressait devant l’entrée de l’Espace Bargemon, sous la place du même nom. Des huissiers et du personnel de sécurité guidaient tout ce beau monde sur les tapis rouges. Il fallait montre patte blanche. « Les élus de secteur, par ici » ai-je entendu. J’ai sorti ma carte d’identité, j’ai dit d’une voix qui m’a paru terriblement mal assurée « je suis élue d’arrondissements » et j’ai pu approcher, en jouant un peu des coudes tout de même, d’une table où officiait le staff du protocole, j’ai décliné mon nom, je me suis vue dotée d’une petite étiquette verte autocollante, et dirigée vers la grande salle en contrebas, là où s’érigeait le fameux écran géant, avec parterre de plantes vertes devant et chaises en plastique blanc alignées en carrés façon légions romaines.
La salle s’est remplie peu à peu des habitué-es, des obligé-es, de tout ce petit monde huppé de l’entre-soi de la politique municipale depuis des décennies, et je voyais là s’illustrer la fracture qui fait de Marseille ce qu’elle est, une ville terriblement inégalitaire. Une assemblée à très large majorité bien blanche, plutôt âgée, cliquante et vulgaire, embijoutée, cravatée, aux coiffures de casques blonds lissés à la repasseuse ou cheveux blancs neigeux, venue adouber une fois de plus, une fois de trop, l’indéboulonnable Gaudin.
A neuf heures, la retransmission en direct de ce qui se passait dans l’hémicycle du Conseil a commencé et on a entendu en direct la voix chevrotante du doyen de l’assemblée, qui comme la loi le stipule, préside cette assemblée jusqu’à ce que le nouveau maire soit élu. C’est du reste cette loi qui avait permis à Le Pen père de présider l’ouverture de la séance du nouveau conseil régional élu au printemps 2010. Son discours avait été neutre. Ca n’a pas été le cas vendredi, et l’assemblée a eu droit à un florilège de réflexions et de pratiques qui ont ôté toute dignité à ce début de mandature. Et le bonhomme d’écorcher les noms des conseillers, spécialement celui de Jean Marc Coppola, quand il a péniblement lu d’abord la feuille de présence puis celle de la liste des votants, de saluer auparavant dans son discours d’ouverture l’immense réussite de la précédente municipalité, pensez-donc un million et demi de croisiéristes sont venus s’esbaudir dans notre merveilleuse ville désormais entièrement vouée à cette activité… neutralité vous avez dit ? Le même indigne président a également commenté la descente des marches de l’hémicycle d’une conseillère, au moment d’aller glisser son bulletin dans l’urne « attention, Mme Lotta, ne tombez pas », puis à l’énoncé des patronymes des conseillers Jean Christophe Masse et Florence Masse « oui bon, la dynastie des Masse, quoi … », avant de terminer sur un petit commentaire sur la tenue de Lisette Narducci « Tiens, c’est la première fois que je la vois en rouge, Mme Narducci ».
Le suspense était insoutenable quant aux résultats du vote … JCG était le seul candidat, et sans surprise il a obtenu la totalité des voix des conseillers élus sur sa liste, soit 61, les 40 autres conseiller-es, répartis à égalité entre « l’union de gauche » et le FN, ont voté blanc.
Au delà de la pantalonnade grotesque mais hélas appréciée, livrée par le doyen d’âge, au-delà de la « standing ovation » dont a bénéficié le « nouveau » maire, qui sitôt ceint de l’écharpe, a investi le fauteuil occupé par le doyen et a péroré avec sa faconde coutumière sur cette écharpe, « vous ne me voyez pas souvent avec cette écharpe, eh, c’est que je la porte à la manière du Sénat, sous la veste », au-delà de l’aveu implicite quant à son âge lorsqu’il a énoncé qu’il a « demandé à certains de [ses] adjoints et conseillers de ne pas se représenter, dans un souci de rajeunissement », c’est bien entendu la présence de vingt conseiller-es municipaux FN qui marque d’un sceau noir, lourd de menaces, le début de cette quatrième municipalité Gaudin.
Après avoir annoncé la couleur de ce quatrième mandat « non pas un quatrième, mais un nouveau mandat », après avoir fait savoir que « les considérations sur le bilan et le passé sont finies, les polémiques aussi », circulez, il n’y a plus rien à voir, JCG a donné la parole aux représentants des différents groupes. Le premier conseiller à s’exprimer a été le socialiste Mari, nouveau président du groupe PS, Menucci ayant renoncé à cette fonction. Un discours plat, lisse, sans envergure, annonçant une « opposition constructive » et une vigilance quant au futur partenariat public-privé concernant la construction du futur boulevard urbain sud, « partenariat souvent ruineux pour les finances publiques »…La vigilance ne suffira pas, et c’est un combat qu’il faudra mener pour dénoncer ces PPP, marché de dupes qui permettent aux grands groupes financiers de se créer des rentes inouïes en se payant sur la pauvre laine des citoyen-nes usager-es de ce qui n’a plus rien de « service public ».
Jean Marc Coppola, pour le Front de Gauche, a ensuite pris la parole. Discours offensif et courageux, discours politique, dans lequel il a rappelé que le débat municipal avait été escamoté, qu’une grande partie du peuple de Marseille n’était pas représentée dans cet hémicycle (petite note personnelle : nous y avons notre part et j’y reviendrai dans un billet suivant) et que face à la crise profonde que traverse la démocratie, à Marseille et dans le reste du pays, l’humilité des élu-es était nécessaire. Il a énoncé que les grands choix de gestion doivent être soumis et débattus au sein de la population et pas seulement dans cet hémicycle. Il a appuyé sur la place inquiétante du FN au sein de l’assemblée, véritable offense à la République, il a décrit la désespérance, fruit de l’impuissance politique, et l’immense souffrance sociale d’une grande partie de la population marseillaise, avant de conclure sur la volonté des élus FDG, qui seront intransigeants, intègres, et incorruptibles, d’être dans une opposition combattive pour rendre la ville plus humaine, plus émancipatrice. Il a demandé que la première mesure de la nouvelle municipalité soit de décréter Marseille zone hors Grand Marché transatlantique http://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marche-transatlantique/
Le président du groupe FN lui a succédé au tour de parole et a immédiatement répliqué avec la violence que nous leur connaissons et qui révèle mieux que toute explication le fond de leur pensée et leur méconnaissance totale de l’histoire : « partout où le communisme s’est abattu, il n’y a eu que mort et misère. Nous n’avons pas de leçon à recevoir des enfants de Staline » et de dérouler ensuite une vision d’une Marseille qui n’existe que dans leurs cerveaux étroits, d’une Marseille vue comme un monument à construire, auquel ils veulent apporter leur pierre, niant par là les 2600 ans qui font de notre ville ce qu’elle a été, et ce qu’elle aspire à redevenir : une cité vivante, loin de cette vision mortifère et glaçante.
Pour finir, c’est le conseiller UMP Moraine qui a fait force clins d’oeil au FN, qui a « toute légitimité d’être là » et qui en impute la faute à « la gauche ». Dans le discours du va-t-en-guerre de la majorité municipale, il apparaît que la sécurité et la propreté seront les mamelles de cette nouvelle mandature. Qu’on se le dise, oyez, oyez …